La Tendresse : comme un bouillon de testostérone

Après un passage remarqué au Carrefour international de théâtre de Québec, en 2022, avec Désobéir, une pièce qui traitait de l’émancipation de quatre jeunes femmes issues de l’immigration, la metteuse en scène Julie Berès et sa compagnie Les Cambrioleurs (Reims, France) récidivent avec La Tendresse, une œuvre coup de poing qui s’attelle, à fortes doses de paradoxes et d’autodérision, à déconstruire les mythes de la masculinité.

L’homme idéal

Un groupe de jeunes hommes — comédiens et danseurs — provenant de milieux et de communautés différentes, fusionnent leurs arts respectifs pour aborder des sujets brûlants qui découlent à la fois de textes déjà écrits et de fragments de leurs histoires personnelles et de leurs propres agitations. Les émotions souvent contradictoires et pleinement ressenties qu’ils extériorisent par le mouvement, le chant, le cri, le débat et la confidence rendent ces personnages extrêmement attachants. Tout au long de la pièce, ils se confrontent à leurs appréhensions, leurs colères, leurs fractures et leurs interrogations avec une sincérité désarmante.

Le spectacle débute en trombe, à force de rap, de breakdance et de tags. Sur un plateau noir, meublé d’un escalier du côté cour et d’une glissade à jardin qui permettent toutes sortes de sauts et d’acrobaties, les interprètes s’expriment avec une fougue qui relève des usages à la vogue chez les bad boys. Entre les histoires d’amour et de guerre se profile l’image de l’homme idéal selon un modèle axé sur la violence, la compétition, la conquête et hérité d’une éducation irrationnelle qui demande aux petits garçons de ne pas se battre en glorifiant ceux qui savent se défendre.

L’homme déconstruit

Un des principaux thèmes de la pièce concerne la relation aux femmes et la sensation de danger ressentie par les jeunes hommes au moment des préliminaires. Ce stress vécu lors des rapprochements avec les filles est accolé à l’avènement du phénomène MeToo, lequel ne semble cependant pas avoir réduit le nombre de viols commis, notamment en France, comme en témoignent les statistiques. Une des scènes les plus intenses du spectacle correspond à la prise de conscience d’un des interprètes qui, dans un moment de grande intimité et de trouble profond, explique que si l’on bâtissait un mur en y inscrivant le nom des femmes violées chaque année en France, cette construction serait perceptible de la Lune.

Virilité, agressivité, homophobie ne sont que quelques sujets indissociables des artéfacts comportementaux transmis par l’héritage culturel d’une société patriarcale au sein de laquelle les hommes assoiffés de caresse, de délicatesse et de tendresse peinent à garder leur équilibre. La forme brute et équarrie de la production, comme un bouillon de testostérone, colle parfaitement bien au propos de l’œuvre. Et l’on ressort de la représentation avec l’impression et la satisfaction de mieux comprendre les ambiguïtés de la condition masculine.

Ce spectacle est présenté jusqu’au mardi 4 juin à 19 h 30 au Théâtre de la Bordée.

Le Carrefour international de théâtre de Québec se tient du 23 mai au 8 juin 2024. Les billets sont disponibles en suivant ce lien.