Ici vécut : Narcisse Rosa, au 554, rue du Roi

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Narcisse Rosa (1824-1907) a été un important constructeur de navires à Québec. Il a également écrit un ouvrage pour faire connaître l'histoire de l'industrie navale à Québec, qui était alors en déclin.

<em>Ici vécut</em> : Narcisse Rosa, au 554, rue du Roi | 6 janvier 2024 | Article par Simon Bélanger

Narcisse Rosa, constructeur de navires, a vécu dans le bâtiment en briques rouges, au 554, rue du Roi.

Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintroch + Bibliothèque et archives nationales du Québec (montage photo)

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Narcisse Rosa (1824-1907) a été un important constructeur de navires à Québec. Il a également écrit un ouvrage pour faire connaître l’histoire de l’industrie navale à Québec, qui était alors en déclin.

Un peu avant Noël, l’auteur de ces lignes a rencontré le ministre Jean-Yves Duclos, également député de Québec. Parmi les principaux accomplissements de son gouvernement en 2023, M. Duclos citait l’intégration du chantier maritime Davie, à Lévis, dans la Stratégie nationale de construction navale.

Quelques jours plus tard, nous apprenions le décès de notre ancien collaborateur, José Doré, qui a fait découvrir le personnage de John Munn aux gens du quartier Saint-Roch, un important constructeur de navires.

Ces deux nouvelles nous ont donné le goût de nous pencher sur un autre constructeur de navires important, Narcisse Rosa, qui a vécu sur la rue du Roi, dans le faubourg Saint-Roch. C’est aussi une occasion de rappeler que la rivière Saint-Charles était une plaque tournante dans l’industrie navale au XIXe siècle, même si les traces ne sont plus tellement visibles aujourd’hui.

Narcisse Rosa a d’ailleurs contribué à s’assurer que cette époque ne tombe pas complètement dans l’oubli.

Narcisse Rosa.
Crédit photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Les voiliers, une affaire de famille chez les Rosa

Narcisse Rosa voit le jour le 18 juillet 1824, dans le faubourg Saint-Roch. Fils d’Adélaïde Côté et de Joseph Rosa, un charpentier, Narcisse grandit avec quatre frères et une sœur.

Si Narcisse Rosa s’est lancé dans l’aventure de la construction navale, il le doit sans doute un peu à son arrière-grand-père, Barthélémy Rosa. Celui-ci était maître voilier du chantier royal. Le chantier naval, situé sur la rivière Saint-Charles, avait mis à l’eau six navires, sous la direction de René Levasseur. Toute la voilure venait de l’atelier de Barthélémy Rosa.

Alors que Narcisse Rosa entendait les histoires à propos de son arrière-grand-père, l’industrie navale de Québec était déjà en effervescence depuis plus d’une vingtaine d’années.

Cette situation s’explique en grande partie par le blocus effectué par Napoléon Bonaparte en 1806 sur la mer Baltique, ce qui coupe les importations britanniques de bois. La Grande-Bretagne se tourne alors vers le Canada pour s’approvisionner en bois.

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Narcisse Rosa aurait commencé à travailler dans un chantier naval en 1839, à l’âge de 14 ans. En 1845, à 21 ans, il épouse Julie Côté. Narcisse était alors un charpentier, comme son père Joseph.

Le couple vit de nombreuses épreuves, alors qu’un important incendie détruit une grande partie du faubourg Saint-Roch l’année de leur mariage. De plus, Narcisse et son épouse ont la douleur de perdre leurs trois premiers fils quelques mois après leur naissance, à une époque où le taux de mortalité infantile était particulièrement élevé. Heureusement, leur fils Alfred, né en 1850, survit.

En 1851, le couple habite dans le secteur de Neuville, possiblement parce que Narcisse travaillait pour le constructeur de navires Charles Jobin. En 1852, Narcisse et Julie reviennent vivre dans Saint-Roch.

Chantier de construction navale sur la Rivière Saint-Charles. Photo prise entre 1868 et 1881.
Crédit photo: Archives de la Ville de Québec

Remariage et constructeur de navires

En 1852, la femme de Narcisse Rosa donne naissance à Marie Anne Julie. Celle-ci survit, mais sa mère rend l’âme en 1854, faisant ainsi de Narcisse Rosa un veuf.

En 1855, il se remarie, cette fois avec Flavie Roy, fille d’Angélique Blais et de Charles Roy, un constructeur de navires.

La même année Narcisse Rosa construit son premier navire, le Redan, qui sort du chantier de Pointe-aux-Lièvres. Ce premier accomplissement se fait en partenariat avec son frère Louis. Celui-ci se destine cependant à la vie de capitaine au long cours.

Narcisse travaille également régulièrement sur les chantiers avec son frère Édouard. Au printemps 1866, les frères Rosa ont huit vaisseaux en construction. La plupart de ces bateaux sont des trois-mâts barques, qui jaugent 550 tonneaux en moyenne.

1866, « annus horribilis »

L’année 1866 se déroulait somme toute assez bien. Le 2 mai, neuf vaisseaux des chantiers de la famille Rosa avaient été mis à l’eau. On s’apprêtait à lancer le Buffalo, qui était toujours sur cale.

Mais le drame se produit.

«Le navire commence sa descente sous les acclamations de la foule qui se transforment en cris d’horreur lorsque l’un des accores cède puis s’écrase, clouant Édouard Rosa au sol. Souffrant de plusieurs blessures internes et d’une jambe cassée, on le ramène à son domicile où il s’éteint le soir même. Perdre son frère, en plus le contremaître de son chantier, porte un terrible coût à Narcisse.», écrit Eileen Reid Marcil, biographe de Narcisse Rosa.

Quelques mois plus tard, le 14 octobre 1866, un autre incendie majeur détruit le faubourg Saint-Roch, laissant 2 300 demeures en ruines, dont celle de Narcisse Rosa. Il reviendra finalement se construire sur la rue du Roi. C’est le maçon Jean-Baptiste Guillot qui obtient le contrat, pour une maison de deux étages en briques, complétée en 1870. La résidence où se trouve aujourd’hui la plaque Ici vécut a accueilli la famille Rosa jusqu’en 1899.

Plaque qui rappelle la présence de Narcisse Rosa, installée sur la façade du 554, rue du Roi.
Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintroch

Dans les années suivantes, la situation de Narcisse Rosa demeure compliquée. Son livre de commandes déborde et il doit gérer à la fois les affaires et la construction, sans pouvoir compter sur son frère et principal allié. Il accumule les dettes et doit déclarer faillite en 1868. Membres de sa famille, amis et associés lui viennent cependant en aide.

Ainsi, Narcisse Rosa peut poursuivre son œuvre. Après sa faillite, Narcisse et son frère Louis construisent 27 nouveaux navires.

Voyage houleux vers l’Europe

Vers la fin du XIXe siècle, le marché des vaisseaux à voiles n’a plus beaucoup d’avenir, avec l’avènement du bateau à vapeur.

Qu’à cela ne tienne, Narcisse Rosa souhaite quand même renforcer ses liens avec les armateurs français. Il voyage donc régulièrement sur l’océan Atlantique. En 1887, il emmène avec lui ses deux plus jeunes enfants, Létitia et Ladislas, âgés de 14 et 17 ans. Le trio embarque sur l’Amicus, trois-mâts barque de 525 tonneaux, reconstruit dans le chantier naval de Narcisse Rosa. Le bateau se dirige vers la côte nord-ouest de l’Angleterre, avec une cargaison de bois.

Le voyage ne sera pas de tout repos, comme le relate Narcisse Rosa lui-même :

« C’état en septembre. Nous étions partis par une légère brise d’ouest qui nous faisait présager une belle traversée. Mais le deuxième jour de notre départ de Sainte-Anne des Monts, une tempête formidable s’éleva durant la nuit. Le capitaine, M. Ludger Bolduc, fit mettre le navire sous les ris. La mer le balayait quand même par tous les côtés. Nous étions atterrés. M. Bolduc fit mettre deux hommes à la roue et ordonna de les attacher au navire avec une amarre, parce que les vagues les auraient infailliblement entraînés à la mer. Il fit jeter ensuite par-dessus bord la cargaison du pont. Il y avait déjà dix pieds d’eau dans la cale. Ordre est donné alors à tout le monde de se mettre aux pompes, le capitaine donnant l’exemple. On travaille ainsi sans relâche durant vingt-trois heures pour vider notre vaisseau et l’empêcher de couler bas. À peine pouvions-nous aller à tour de rôle prendre quelque peu de nourriture pour nous soutenir. Le lendemain le navire se portait un peu mieux. La mer s’était un peu apaisée, mais nous n’étions pas encore à nos aises : notre abat-jour était enfoncé, nos chambres étaient remplies d’eau, notre lingerie trempée », écrit Narcisse Rosa dans son ouvrage.

Après une traversée de 16 jours, le bateau arrive finalement à bon port.

Prendre la plume

Même s’il avait quitté l’école à 14 ans, Narcisse Rosa n’hésitera pas à prendre la plume, d’abord pour partager son opinion et tenter de faire pression sur les dirigeants politiques.

Lui-même partisan du parti conservateur (ou libéral-conservateur) de John A. Macdonald, il ne se gêne pas pour publier dans les journaux des écrits dénonçant le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie, deuxième premier ministre du Canada. Il envoie aussi régulièrement des missives aux dirigeants.

Lorsque Macdonald revient au pouvoir, il vit cependant plusieurs déceptions, car ses propositions, qui concernent notamment les tarifs  commerciaux sur les navires, ne sont pas retenues.

Narcisse Rosa n’a pas non plus la langue dans sa poche pour dénoncer les «personnes incompétentes» qui gèrent le Port de Québec, de même que les syndicats de débardeurs.

Cette expérience d’écriture se concrétise ensuite dans la rédaction de son ouvrage, paru en 1897. Intitulé La construction des navires à Québec et ses environs, grèves et naufrages, le livre revient sur l’histoire récente de la construction navale, à travers les yeux d’un homme qui l’a vécu cette époque. C’est l’occasion pour lui d’user de nostalgie, envers une ère qui est déjà terminée.

«La construction des navires en bois est donc une chose du passé! Cependant, j’aime encore à me rappeler ce bon vieux temps où l’ouvrier tout ruisselant de sueurs travaillait à monter le navire avec le même entrain et la même gaieté de coeur qu’il en aurait mis à bâtir son propre foyer. Mais cette bonne humeur n’avait pas de bornes lorsqu’il était question de transporter à force de bras les pièces, soit de la quille, de l’étrave ou de l’étambot», se remémore Narcisse Rosa.

Les deux autres sections de l’ouvrage reviennent sur la construction de vaisseaux à Québec et ses environs, qui s’étendent pour lui de Toronto jusqu’à la baie des Chaleurs.

Une troisième partie porte sur les naufrages qui se sont produits dans le secteur de l’île d’Anticosti. Cette section a été faite en collaboration avec le capitaine Joseph-Elzéar Bernier.

En 1899. Narcisse Rosa perd sa deuxième épouse. Il quitte alors sa demeure de la rue du Roi, pour s’installer sur la rue Richardson (aujourd’hui rue De La Salle), avec ses plus jeunes enfants. Sa fille Létitia prend soin de lui jusqu’à son décès, le 3 novembre 1907.

Si son ouvrage n’est pas sans failles méthodologiques, il offre cependant un témoignage de qualité sur une industrie qui a peu laissé à l’historiographie. Narcisse Rosa aura joué un rôle d’acteur et de témoin d’une époque qu’on a tendance à oublier.

Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut. La fiche de celle de Narcisse Rosa contient une capsule sonore de l’historienne Eileen Reid Marcil, ainsi qu’une photo.

Sources

REID MARCIL, Eileen, L’œuvre de Narcisse Rosa: la hache et la plume, Québec, Les Éditions GID, 122 p.

ROSA, Narcisse, La construction des navires à Québec et ses environs : grèves et naufrages, Québec, Léger Brousseau, 1897, 202 p., Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial : 554, rue du Roi», Répertoire du patrimoine bâti.

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