On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l'histoire de la ville de Québec. Jean-Herménégilde Larochelle (1853-1929) a été un acteur important d'une industrie majeure dans Saint-Roch au tournant du 20e siècle : la chaussure.
Ici vécut : Jean-Herménégilde Larochelle, au 570, rue de la Reine
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l’histoire de la ville de Québec. Jean-Herménégilde Larochelle (1853-1929) a été un acteur important d’une industrie majeure dans Saint-Roch au tournant du 20e siècle : la chaussure.
Au cours des derniers mois, le quartier Saint-Roch a perdu un joueur important du milieu de la vente de chaussures, alors que Chaussures Fillion a quitté pour la 3e Avenue, dans Limoilou.
Du côté de la fabrication de chaussures, bottes ou mocassins, certaines entreprises perdurent à Wendake ou à Québec. C’est le cas dec Bastien Industries, Alfred Cloutier ou Chaussures Saute-Mouton. Cette dernière est même passée à travers un incendie qui a complètement détruit son usine de production en 2023.
Maintenant, si on recule de presque 100 ans, l’industrie de la chaussure était le principal moteur économique de Québec. En 1933, 27 entreprises employaient environ 2 500 travailleurs. La production s’élevait alors tout près de 6 M$ annuellement.
Jean-Herménégilde Larochelle a contribué au développement de cette industrie, qui marchait main dans la main avec les tanneries du secteur qu’on surnomme, encore aujourd’hui, l’îlot des Tanneurs.
Une industrie en déclin, une autre en croissance
Vers 1865, l’industrie navale, auparavant florissante à Québec, amorce son déclin. À ce moment, tanneries et manufactures apparaissent dans le quartier Saint-Roch.
Pendant les 25 ans qui ont précédé le krach boursier de 1929, la croissance économique de Québec a été quasi constante, en grande partie grâce au dynamisme de l’industrie de la chaussure. Dès 1905, 25 des 60 manufactures de chaussures recensées au Canada se trouvaient à Québec. En 1921, 46% de la production des chaussures dans la province était réalisée à Québec.
Ces manufactures étaient principalement situées dans un quadrilatère formé des rues Notre-Dame-des-Anges, Dorchester, Arago et du boulevard Langelier. Encore aujourd’hui, ce nom est utilisé par plusieurs résidents de ce secteur surnommé «îlot des tanneurs».
En effet, plusieurs tanneries s’y étaient installées, profitant des sources d’eau disponibles à proximité. De leur côté, les manufactures de chaussures vont s’installer près des tanneries, afin de profiter de l’accès aux matières premières.
Saint-Vallier Est : des tanneries aux chaussures
Si vous vous baladez sur la rue Saint-Vallier Est, encore aujourd’hui, vous pouvez admirer le bâtiment qui a abrité la manufacture de Jean-Herménégilde Larochelle et sa famille. Il se trouve à l’adresse 215-229, rue Saint-Vallier Est, qui abrite notamment l’atelier-galerie de l’artiste Marie Plante.
L’édifice a été construit en 1895. Mais, avant cette époque, on y retrouvait une vieille maison et des dépendances qui appartenaient aux tanneurs Légaré, construites à la fin des années 1780. Ignace Légaré était un des premiers tanneurs actifs du Faubourg Saint-Vallier.
En 1895, William H. Polley, un fabricant de chaussures et ancien associé de William A. Marsh, était propriétaire de l’endroit. Il fait démolir les anciens bâtiments des Légaré.
L’architecte A. Joseph Pageau réalise les plans de la nouvelle manufacture et l’entrepreneur Walter Sharpe supervise la construction de l’immeuble de cinq étages.
Cependant, William H. Polley ne demeure pas longtemps à cet endroit. En 1896, ses pertes financières sont importantes, ce qui l’oblige à se relocaliser dans une ancienne manufacture de J. H. Botterell, à l’angle du boulevard Langelier et de la rue Saint-Vallier Est.
J.-H. Larochelle, un producteur de taille moyenne
Après le départ de Polley, Jean-Herménégilde Larochelle (ou J.H. Larochelle) prend sa place. Fils d’Honoré Larochelle et de Josephte Leclerc, Jean-Herménégilde voit le jour le 27 novembre 1853, selon le registre de baptêmes. Sur la plaque et sur le site de la Ville, on indique plutôt 1853.
D’abord présent sur la rue de la Couronne, celui qui était alors un petit producteur de chaussures se hisse parmi les manufacturiers de moyenne taille au début du 20e siècle.
Déjà, avant d’aménager sur la rue Saint-Vallier Est, son entreprise employait 115 employés en 1892. Ses fils s’associent plus tard avec lui et, en le 29 septembre 1914, l’entreprise est incorporée sous le nom J.-H. Larochelle et Fils Limitée. Dans la Gazette de Québec, on peut lire que Joseph Edgar Herménégilde Larochelle était gérant, qu’Émile Larochelle était étudiant et qu’Albert Larochelle était teneur de livres.
Au cours des années 1920, les Larochelle continuent de produire bottes, chaussures et «claques». Leur actif dépasse alors les 120 000$.
Impliqué dans la vie paroissiale, Jean-Herménégilde Larochelle était membre du conseil de fabrique de la paroisse de Saint-Roch. Il a été impliqué dans la construction de l’église de Saint-Roch. Il fut marié en premières noces à Amarilda Cloutier, puis à la veuve d’Arthur Simard.
Vers la fin de sa vie, il quitte Saint-Roch pour s’établir dans Montcalm. Il rend l’âme le 1er avril 1929, à 75 ans, à un moment où le déclin des manufactures de chaussures était déjà commencé. La famille Larochelle a quand même conservé l’usufruit de la propriété de la rue Saint-Vallier jusque dans les années 1950.
Maison du 570, rue de la Reine
L’ancienne maison de Jean-Herménégilde Larochelle, sur la rue de la Reine, se trouve sur le terrain d’une ancienne maison en briques construite par Winceslas Cloutier, en 1848, après le grand incendie qui détruit le faubourg Saint-Roch.
En 1870, la maison est encore une fois détruite par le feu. On la reconstruit entre 1870 et 1875, avec un toit mansardé qui épouse une forme de cloche. Les murs coupe-feu sont conservés.
Le producteur de chaussures Jean-Herménégilde Larochelle fait l’acquisition de la maison en 1900. Il la revend 25 ans plus tard, en 1925, et obtient 7 000$. Larochelle avait procédé à plusieurs changements et ajouté des annexes.
Dans les années 1960, on retire les portes et fenêtres d’origine du 570-572, rue de la Reine. En 2023, la compagnie Construction Logimieux est lauréat aux Mérites d’architecture, dans la catégorie «Savoir-faire patrimonial» Ce prix «récompense le travail remarquable et la maitrise des techniques spécialisées des artisans qui contribuent de façon exemplaire à la sauvegarde des savoir-faire traditionnels.»
Dans le Répertoire du patrimoine bâti de la Ville de Québec, on peut aussi lire qu’il s’agit d’une maison à toit brisé de type «évasé».
«La maison à toit brisé évasé est la plus ancienne ; sa forme de toiture provient de l’architecture loyaliste. ; son terrasson est haut et son brisis incliné. La maison ne compte qu’un seul niveau d’occupation en plus des combles qui sont habitables. La maison se caractérise aussi par les lucarnes en arc surbaissé qui éclairent les combles, typiques du 19e siècle, et une corniche à consoles qui souligne le débordement du toit. L’influence néoclassique est perceptible dans la disposition rigoureusement symétrique des ouvertures », peut-on aussi lire dans la fiche patrimoniale.
De la chaussure à la musique?
En avril 1929, on peut lire dans Le Soleil du 6 avril qu’une «foule très considérable» avait assisté aux funérailles de Jean-Herménégilde Larochelle, lors d’une cérémonie tenue à l’Oratoire Saint-Joseph de Québec, sur le chemin Sainte-Foy.
Il laissait alors dans le deuil une fille et trois garçons, dont Émile Larochelle. Celui-ci, après avoir suivi les traces de son père, décide de délaisser le commerce de chaussures en 1923 pour se lancer dans le chant. Il quitte d’ailleurs pour l’Europe afin de parfaire son art.
Lorsqu’il revient, il devient directeur du corps de musique de Saint-Jean-Baptiste, professeur de chant, de théorie et de solfège à l’École de musique de l’Université Laval, ainsi que maître de chapelle à l’église Saint-Sauveur.
À partir de 1925, il a résidé au 537, rue Saint-Jean. Il a formé des ténors de renom, comme Raoul Jobin, Léopold Simoneau ou Richard Verreau. En compagnie de son fils Jacques et de sa fille Françoise, il forme le trio Larochelle, qui interprète des chansons françaises pendant six ans à la radio de CKCV. Les deux enfants ont eu une carrière musicale assez florissante.
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds P970 – Fonds Françoise Larochelle-Roy.
CÔTÉ, Louise et al., Arrondissement de La Cité-Limoilou, Découvrir Québec, Québec, 2016, 116 p.
Fonds Drouin, «Baptême Jean Hermenegilde Larochelle».
Gazette Officielle de Québec, «Proclamation», 17 octobre 1914, p. 2568-2570.
LEMOINE, Réjean, Les maires de Québec depuis 1833, Ville de Québec, Québec, 2013, 227 p.
Le Soleil, «Mort de M. J.-H. Larochelle», 1er avril 1929, p. 12.
Le Soleil, «Feu M. J.-H. Larochelle», 6 avril 1929, p. 36.
PARENT, Jean-Claude, «Le quartier Saint-Roch de Québec – Synonyme de chaussures», Bulletin de l’Association québécoise pour le patrimoine industriel, vol. 5, no 3, 1993, p. 4-6.
Ville de Québec, «Communiqué – De nouvelles plaques commémoratives Ici vécut bientôt installées sur des bâtiments de Québec».
Ville de Québec, «Émile Larochelle», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – 257 à 261, rue Saint-Jean», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – 570 à 572, rue de la Reine», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – Manufacture de J. H. Larochelle», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Lauréats 2023», Mérites d’architecture.
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