On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Jean-Baptiste Laliberté (1843-1926), chapelier et marchand de fourrures, a marqué durablement l'histoire de Saint-Roch, alors que son magasin a occupé la rue Saint-Joseph pendant 153 ans.
Ici vécut : Jean-Baptiste Laliberté, au 640, rue Saint-Joseph Est
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Jean-Baptiste Laliberté (1843-1926), chapelier et marchand de fourrures, a marqué durablement l’histoire de Saint-Roch, alors que son magasin a occupé la rue Saint-Joseph pendant 153 ans.
Ça y est, l’automne est (presque) arrivé! En réalité, l’équinoxe aura lieu très exactement ce dimanche 22 septembre, à 12h43.
Qu’à cela ne tienne, malgré les températures estivales qui subsistent en septembre, il faudra bientôt commencer à ajouter quelques couches de protection, car l’hiver est à nos portes.
Pendant longtemps, afin de se prémunir face à un climat glacial, on se parait de nos plus belles fourrures, de la tête aux pieds. Toutefois, cette industrie a fait l’objet de nombreuses critiques depuis quelques décennies, notamment pour ce qui touche à la cruauté envers les animaux.
Mais avant cela, la vente de fourrures a fait la renommée de Jean-Baptiste Laliberté, qui ouvrit le premier grand magasin de la ville de Québec en 1884. Il avait cependant déjà ouvert son atelier en 1867.
D’ailleurs, dans une forme d’hommage au fait que la maison J.-B. Laliberté a beaucoup servi sa clientèle pendant l’hiver, on peut constater que le magasin Escomptes Lecompte y proposera bientôt des articles spécifiquement reliés à Noël.
En attendant l’ouverture, allons à la découverte de Jean-Baptiste Laliberté et de plus de 150 ans d’histoire.
Années de formation
Jean-Baptiste Laliberté voit le jour le 24 mars 1843. Il vit les deux premières années de sa vie dans une maison du faubourg Saint-Roch, jusqu’à ce que l’incendie qui dévasta le secteur le 28 mai 1845 emporte avec lui 1630 maisons, dont la résidence de la famille Laliberté.
Le père de Jean-Baptiste, qui portait le même prénom que son fils, était également tanneur. Il aurait cependant été emporté par la maladie (possiblement le choléra) à l’âge de 36 ans, alors que son fils n’en avait que 6.
C’est donc la mère du petit Jean-Baptiste, Élisabeth Labrecque, qui se charge en bonne partie de l’éducation de son garçon. Celui-ci complète ses études primaires dans le faubourg Saint-Roch, avant de s’inscrire à l’École normale Laval, fondée en 1857. Située dans le château Haldimand, qui se trouvait sur l’emplacement actuel du château Frontenac, l’École normale Laval formait les futurs instituteurs. Il mit cependant un terme à sa formation après trois ans.
Il revient dans Saint-Roch pour apprendre à travailler la fourrure dans l’atelier de Narcisse Venière (ou Venière Nichol). Laliberté y apprend la confection de casquettes, de manchons et de chapeaux de fourrure.
Jean-Baptiste Laliberté, entrepreneur
L’année 1867 marque le moment où Jean-Baptiste Laliberté ouvre sa propre entreprise de chapellerie. Un ami lui prête de l’argent, afin qu’il puisse faire l’acquisition de fourrures et de chapeaux pour le démarrage de son commerce. Son magasin et son atelier se trouvent au bâtiment correspondant aujourd’hui au 640-644, rue Saint-Joseph Est, qui accueille aujourd’hui Lucie Côté Cuisine. Il fabrique d’abord des chapeaux de fourrure.
Un premier assistant se joint à lui en 1868. Deux ans plus tard, il n’est plus seulement chapelier, mais également marchand de fourrures.
À ce moment, l’entreprise G.R. Renfrew, fondée en 1838 et installée sur la rue de Buade, en haute-ville, domine le secteur des fourrures. Le mentor de Jean-Baptiste Laliberté, Narcisse Venière, devenait aussi son compétiteur.
Malgré les défis, l’entreprise de Laliberté connait une importante croissance. Trois ans après l’ouverture, 13 employés travaillent pour lui et la valeur de ses articles est évaluée à 56 000$.
Le 28 février 1870, Jean-Baptiste Laliberté unit sa destinée à celle d’Elzire Émond. Le mariage se tient à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame-de-Québec. Le couple perdra des enfants en bas âge et seuls Jean-Baptiste (John) et Edmond atteindront l’âge adulte.
Un édifice de renom
Les produits de Jean-Baptiste Laliberté gagnaient de plus en plus en qualité. Lors de l’exposition provinciale agricole et commerciale de 1878, qui se tenait au Manège militaire, Laliberté est récompensé par une médaille et des diplômes.
Celui-ci voulait aussi agrandir son commerce. Il souhaite donc se faire construire un nouveau bâtiment et lorgne un terrain situé au coin des rues Saint-Joseph et de la Chapelle. Une vieille maison s’y trouvait toutefois et abritait une épicerie. La maison appartenait aux prêtres du Séminaire de Québec.
Jean-Baptiste Laliberté l’achète le 12 mars 1882, puis la fait démolir. Il engage alors l’un des architectes les plus renommés de l’époque, Joseph-Ferdinand Peachy. On lui doit notamment les églises Saint-Sauveur et Saint-Jean-Baptiste, ainsi que l’édifice du YMCA, qui accueille maintenant le Diamant. Il a également signé les plans de la terrasse Burroughs, sur l’avenue des Érables. Laliberté a été propriétaire de l’endroit de 1926 à 1927.
Peachy propose des plans inspirés du style Second Empire, populaire à Paris. Les travaux de construction débutent en 1883.
L’année suivante, Jean-Baptiste Larochelle et Napoléon Barbeau sont engagés pour travailler sur la toiture mansardée. La qualité de la toiture est un élément phare associé au style Second Empire. Un lanternon est installé sur le toit et devient un point de référence dans le paysage de Saint-Roch.
Magasin et ventes
Le nouveau magasin de J.B. Laliberté ouvre ses portes en 1884. Alors que les ventes se font au rez-de-chaussée, les ateliers de fourrures se trouvent sur les étages supérieurs. En 1892, 150 employés travaillaient pour Jean-Baptiste Laliberté, notamment des tailleurs et des couturiers.
Dès les années 1890, Laliberté se lance aussi dans la production de catalogues pour faire connaître ses produits. Eaton, Dupuis Frères ou Zéphirin Paquet proposaient déjà les leurs.
En 1901, un autre édifice de six étages s’ajoute derrière son magasin. Situé sur la rue des Fossés (actuel Boulevard Charest), ce nouveau bâtiment accueille des entrepôts, le service de commandes postales et le commerce de gros. Laliberté voulait aussi être fournisseur pour des chantiers forestiers, en offrant notamment des raquettes ou des manteaux d’étoffe.
Une réputation grandissante
Jean-Baptiste Laliberté n’était pas seulement connu dans le marché de Québec. Il s’est rendu au moins 38 fois en Europe pour des voyages d’affaires. Il se procurait là-bas des fourrures exotiques, comme celles du mouton de Perse, de l’hermine ou de la zibeline. Laliberté participe à des foires et des encans, de Berlin à Moscou.
Au cours d’un de ces voyages, Laliberté fait la rencontre du Belge Johan Beetz, qui a décidé de s’établir au Canada et de vivre de la chasse et de la pêche, suite au décès de sa fiancée. Le jeune homme s’installe à Piastrebaie (qui porte aujourd’hui le nom de Baie-Johan-Beetz, sur la Basse-Côte-Nord). Beetz élève des renards argentés et aura Laliberté parmi ses clients.
Tous ces efforts semblent être bénéfiques, puisque Jean-Baptiste Laliberté devient le principal fabricant d’articles de fourrures à Québec, seulement 20 ans après s’être lancé en affaires. Sa renommée attire aussi les grands noms. Il reçoit notamment la visite du président américain William H. Taft dans son magasin. Puis, il fournit les manteaux de fourrure vendus dans les plus grands magasins, comme Eaton à Toronto et Dupuis Frères à Montréal.
L’homme souhaite aussi s’impliquer dans sa communauté. Lui-même fréquent utilisateur du port de Québec pour ses besoins commerciaux, il se joint à l’administration du port à partir de 1896. Laliberté fut pendant plusieurs années président de la Commission du havre de Québec, en charge de la gestion du port.
Son implication se fera aussi au sein de la Banque nationale, dont il fut l’un des directeurs du conseil d’administration pendant 25 ans. Et, pendant quelques mois en 1921-1922, il occupa la présidence de la banque qui avait permis à son entreprise de grandir.
Difficultés et deuils
La Première Guerre mondiale entraîne certains bouleversements dans la vie de Jean-Baptiste Laliberté.
Deux neveux travaillaient alors pour lui, Charles-Nazaire et Wilfrid-Alfred. Ce dernier était acheteur de fourrures.
En avril 1915, il embarque à New York à bord du paquebot Lusitania, en direction de Liverpool. Durant le trajet, un sous-marin allemand torpille le bateau, qui sombre dans les eaux de l’Atlantique, faisant 1 1998 morts, dont Wilfrid-Alfred Émond.
Le contexte de guerre faisait aussi mal financièrement à l’entreprise, puisque l’approvisionnement en fourrures devenait beaucoup plus compliqué et les prix étaient de plus en plus élevés.
En 1919, un autre deuil touche personnellement Jean-Baptiste Laliberté, puisque son ami Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada de 1896 à 1911 et député fédéral dans Québec-Est, s’éteint.
Puis, l’année 1924 marque une autre perte importante. Alors que son épouse Elzire était décédée en 1895, c’est le tour de son fils Edmond d’être emporté par la mort. Ce départ l’affecte et il a des difficultés à régler la succession de son garçon.
Décès, héritage et transmission
Le 29 août 1926, Jean-Baptiste Laliberté meurt à 83 ans, dans une maison qu’il habitait alors sur la rue des Fossés. Ses funérailles sont célébrées à l’église Saint-Roch le 1er août 1926.
Jean-Baptiste Laliberté est ensuite inhumé au cimetière Saint-Charles, où il retrouve d’anciens voisins du quartier, comme Zéphirin Paquet et Wilfrid-Étienne Brunet.
John Laliberté, seul fils toujours vivant, devient le président de la compagnie de son père. Il y travaillait depuis 38 ans et connaissait bien l’entreprise. Parmi les innovations survenues à son époque, notons l’ajout du «prêt-à-porter» pour hommes. Des difficultés survinrent suite à la crise de 1929 et même le fils de John (Jean-Baptiste Jr.) démarra sa propre entreprise de fourrures. Il finit par prendre sa retraite et meurt à 80 ans, isolé.
Une troisième génération de Laliberté prend le relais, alors qu’Edmond Laliberté Jr. (petit-fils de Jean-Baptiste et fils d’Edmond) devient président de la compagnie et que son cousin Jean-Baptiste Jr. (fils de John) assume la direction.
Fin d’une tradition familiale et début d’une nouvelle
En 1943, alors que les Laliberté n’ont pas les capitaux nécessaires pour agrandir, ils décident de vendre l’entreprise à des actionnaires, tout en demeurant dans la direction. Édouard Coulombe, gendre de John Laliberté, est nommé gérant général en 1945. La compagnie commence alors à vendre des meubles, des appareils électroménagers, des tissus et des jouets dans les locaux situés sur le boulevard Charest. Laliberté devient donc officiellement un magasin à rayons, où on retrouve également des vêtements pour enfants.
La présence des Laliberté dans le magasin portant leur nom prend officiellement fin en 1947, après 80 ans, alors qu’Edmond et Jean-Baptiste Jr. vivent de plus en plus de désaccords avec les actionnaires majoritaires. Ils ouvrent donc le Centre de fourrures de Québec, au coin de la rue Monseigneur-Gauvreau et du boulevard Charest. En 1947, le docteur Paul Gilbert devient actionnaire majoritaire.
Par la suite, le magasin s’agrandit en 1950, afin d’être plus visible depuis le boulevard Charest. Cette même année, un nouveau propriétaire entre en poste, François Morisset, qui était alors concessionnaire d’automobiles. La famille Morisset présidera à la destinée de J.B. Laliberté jusqu’à la fermeture en 2020.
Soulignons quand même que Jean-Baptiste Laliberté et François Morisset partageaient un lointain lien de parenté, faisant d’eux de petits-petits-petits-petits-cousins.
En 1972, au décès de François Morisset, son fils Jacques reprend la présidence, après 22 ans à la vice-présidence. Durant son mandat, le magasin fait l’acquisition du Zellers voisin, se donne une nouvelle signature et s’intègre au nouveau mail.
Puis, entre 1975 et 1982, trois nouveaux membres de la famille se joignent à l’administration : Pierre Gendron (petit-fils de François Morisset et neveu de Jacques Morisset), puis Suzon et Lucie Morisset (filles de Jacques). La nouvelle équipe voulait effectuer un virage accentué vers la jeunesse.
Cette nouvelle génération doit vivre un changement important, avec la fin des grands magasins et la restructuration de Laliberté. Les directrices se lancent dans les années 1990 dans l’immobilier, après n’avoir conservé que le rez-de-chaussée pour le magasin. Des lofts locatifs assureront de nouveaux revenus.
En 2019, l’immeuble a été vendue au Groupe Mach. Puis, en 2020, devant l’absence de relève ou d’un acheteur potentiel, le dernier grand magasin de Québec a fermé ses portes, trois ans après avoir fêté son 150e anniversaire.
Encore aujourd’hui, le rez-de-chaussée demeure largement inoccupé.
C’est donc une page d’histoire qui reste encore à tourner dans ce grand édifice de style Second Empire.
Merci spécial à Jean-Marie Lebel et son ouvrage Laliberté se raconte : au cœur de Québec : 150 ans, qui a fourni la matière première pour ce texte.
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources
LAVOIE, Jonathan, «La fermeture du magasin Laliberté marquera la fin d’une époque», Radio-Canada, 2 juillet 2020.
LEBEL, Jean-Marie, Laliberté se raconte : au coeur de Québec : 150 ans, J.B. Laliberté, Québec, 2017, 98 p.
PROVENCHER, Normand, «Magasin Laliberté: une fermeture crève-cœur», Le Soleil, 2 juillet 2020.
TREMBLAY, Diane, «Fermeture imminente du magasin Laliberté: la fin d’une époque au centre-ville», Le Journal de Québec, 19 août 2020.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – 640 à 644, rue Saint-Joseph Est», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – Ganterie de Jean-Baptiste Laliberté», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – J.B. Laliberté», Répertoire du patrimoine bâti.
Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – Terrasse Burroughs», Répertoire du patrimoine bâti.
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