On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Jacques Normand (1922-1998) était un chanteur et un animateur, à la radio comme à la télé, qui s'est fait connaître comme «l'enfant terrible» des ondes.
Ici vécut : Jacques Normand, au 456, rue du Roi
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Jacques Normand (1922-1998) était un chanteur et un animateur, à la radio comme à la télé, qui s’est fait connaître comme «l’enfant terrible» des ondes.
Êtes-vous des adeptes des talk-shows? Peut-être que vous suivez assidument pendant la période estivale Bonsoir bonsoir!, animée par Jean-Philippe Wauthier sur les ondes d’ICI Télé. Sinon, vous êtes peut-être des nostalgiques de l’époque où Patrice L’Écuyer animait, en plus de ses émissions de quiz habituelles, L’Écuyer, entre 1995 et 2000 ? Peut-être êtes vous plutôt des inconditionnels de Julie Snyder, que vous avez suivi à L’Enfer c’est nous autres, au Point J ou à La semaine des 4 Julie.
Bien avant que la «petite démone» ne devienne l’une des productrices les plus influentes de la télévision québécoise, un «enfant terrible» avait laissé une marque indélébile dans l’histoire du petit écran. Jacques Normand a notamment coanimé, avec Roger Baulu, la légendaire émission Les Couche-tard, diffusée entre 1961 et 1970, juste après La soirée du hockey.
Comment un petit gars né dans le quartier Saint-Malo, dans Saint-Sauveur, est-il devenu l’un des animateurs les plus connus du Québec? Dans son cas, on peut dire que la radio est d’abord arrivée par accident, très littéralement…
Un plongeon qui change un destin
Première précision importante : Jacques Normand est un pseudonyme. Son véritable nom était Raymond Chouinard, baptisé Raymond-Pascal Chouinard, comme il est né le jour de Pâques.
Ses parents, Elzéar-Alexandre Chouinard et Alberta Boisseau, se marient en 1919. Dans les deux cas, il s’agit d’un deuxième mariage, comme leurs partenaires de vie ont tous deux été emportés par la grippe espagnole. Celui-ci voit le jour le 15 avril 1922 et vit les premières années de sa jeune vie sur la rue Saint-Vallier, dans la paroisse de Saint-Malo (quartier Saint-Sauveur), près du cimetière Saint-Charles. Alors qu’il a 2 ans, la famille, qui compte alors un total de 10 enfants, déménage vers Charlesbourg, dans le secteur Orsainville.
À la fin du cours primaire de Raymond, toute la famille part vivre dans le quartier Saint-Roch, occupant notamment un logement sur la rue du Roi.
Même si la famille Chouinard vit à Québec, les étés se passent en bonne partie à Lac-Sergent et à Kamouraska. Raymond Chouinard est membre de clubs de canot et de natation à Kamouraska, en plus de faire partie de la ligue Canot et passion du Lac-Sergent. Il est également également un bon plongeur.
Le 8 juillet 1939, alors qu’il se trouve à Kamouraska, lui et ses copains s’amusent à plonger au bout du quai, en partie pour impressionner les jeunes filles. Plus la journée avance, plus la marée baisse. Le dernier plongeon de Raymond Chouinard lui aura été presque fatal, lorsque sa tête a cogné le fond de l’eau.
Sauvé in extremis de la noyage, il est blessé gravement à la colonne vertébrale et cloué au lit pendant un an et demi. À l’époque, un médecin avait même prédit qu’il ne marcherait plus jamais. Le neurochirurgien montréalais Wilder Penfield réussit cependant à lui éviter la paralysie, même s’il doit rester au lit.
Raymond Chouinard doit donc se rabattre sur la radio, alternant entre les stations CHRC, CKCV et CBV. Peu d’animateurs trouvent grâce à ses yeux, à l’exception de Roger Baulu, annonceur à Radio-Canada, puis Jacques Desbaillets et Jean-Maurice Bailly. Il se jure alors qu’il voudra faire de la radio.
Prison et débuts radiophoniques
Lorsqu’il sort enfin de la prison dans laquelle son corps meurtri l’enfermait, Raymond Chouinard multiplie les sorties en dehors de la maison. Il fréquente régulièrement les cinémas.
En 1941, après avoir imprimé distribué des tracts contre la conscription et critiques du premier ministre canadien Mackenzie King, il est envoyé en prison. On estimait alors qu’il s’opposait à l’effort de guerre, ce qui lui vaut deux mois d’incarcération.
Après sa sortie des barreaux, il tente sa chance du côté de CHRC et souhaite vendre sa salade au directeur de la station, Aurèle Pelletier. Celui-ci accepte de l’auditionner, puis il est embauché comme annonceur-maison dans la même station qui emploie Félix Leclerc.
Il adopte également un premier pseudonyme, celui de Raymond Boisseau, en hommage au nom de jeune fille de sa mère.
En 1942, sa première aventure radiophonique tourne cependant au vinaigre. Le général de Gaulle devait occuper les ondes pendant 90 minutes. Alors qu’il avait presque passé deux heures à s’exprimer, le jeune annonceur demande de lui couper la parole, afin de passer un bulletin de nouvelles.
De Raymond Chouinard à Raymond Boisseau à Jacques Normand
Raymond perd son poste sur le champ. Heureusement, il fait ensuite la rencontre d’une légende de la radio à Québec, Saint-Georges Côté. Celui-ci lui indique que la station qui l’emploie, CKCV, cherche un animateur en mesure de chanter. Il lui aurait également proposé un nouveau pseudonyme, celui de Jacques Normand. Précisons que le directeur de CKCV, Paul Lepage, était le frère d’Henri Lepage, directeur à CHRC qui venait de congédier Raymond Boisseau.
Par la suite, les contrats s’enchaînent. Jacques Normand travaille d’abord avec Saint-Georges Côté, puis il se fait embaucher chez CBV, pour animer Ici, l’on chante, diffusée à travers tout le réseau de Radio-Canada, d’un océan à l’autre.
En 1942, il reçoit aussi un mandat particulier, celui de reporter lors de la Conférence de Québec, qui réunit Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Mackenzie King. Il travaille alors avec son idole Roger Baulu, qui deviendra un grand ami. Les deux iront même jusqu’à interviewer les chiens de Roosevelt et Churchill.
Départ pour la métropole et mariage
Au printemps 1942, Jacques Normand reçoit une offre bien difficile à refuser. Mimi d’Estée et son mari Henri Deyglun l’invitent à travailler à Montréal. Henri Deyglun souhaite lui écrire un rôle pour sa série radiophonique Mariages de guerre.
Dans le cadre de ce contrat, il tombe également amoureux de sa consœur Lise Roy (pseudonyme pour Gabrielle Côté). Les deux participeront à une tournée, puisque la série radiophonique est adaptée en pièce de théâtre. Nouvellement mariés, les deux tourtereaux feront de cette tournée au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Ontario et au Vermont leur voyage de noces.
Jacques Normand souhaite retrouver la radio. Il propose à CKAC un projet où lui et son épouse chanteraient, une émission intitulée Y’a du soleil. La station de radio en profite pour faire commanditer l’émission par la compagnie de gommes à mâcher Wrigley’s. Le couple est même invité à Chicago à participer à l’émission Wrigley’s Hour, sur les ondes de NBC. Il s’agit alors de la plus importante émission diffusée pendant les Fêtes aux États-Unis. Au milieu des Bing Crosby et Bob Hope, le duo se produit pendant sept ou huit minutes.
Leur mariage bat cependant de l’aile et Lise donne naissance à une fille, née d’une relation avec un autre amant. Après le baptême de l’enfant, le couple divorce. Celui-ci acquiert ensuite une réputation de séducteur, mais il s’est peu ouvert sur cette portion de sa vie.
Dans les cabarets et retour à la radio
Après une autre expérience théâtrale, dans Songe d’une nuit d’été, pièce de Shakespeare mettant aussi en vedette Janine Sutto et Pierre Dagenais, Jacques Normand estime que le théâtre, sur scène comme à la radio, ce n’est plus fait pour lui.
Il se trouve d’abord au cabaret au Vieux Val d’Or, ce qui ne s’avère pas un succès. On l’envoie ensuite en 1944 à New York, où il interprète des chansons de Maurice Chevalier au Bal Tabarin.
En 1946, il s’installe pour de bon à Montréal. On le retrouve cette fois sur les ondes de la toute nouvelle station CKVL, dans l’émission La parade de la chansonnette française. En plus de chanteurs français, on y entendra de nouvelles voix d’ici, comme Raymond Lévesque, Félix Leclerc, Monique Leyrac et Jean-Pierre Ferland.
À partir de 1947, Jacques Normand anime Le fantôme au clavier, émission animée devant public, qui prendra fin en 1950. Il est alors accompagné de Billy Munroe au piano et de Gilles Pellerin. Ce dernier devient son faire-valoir dans les numéros comiques de cabarets.
De son côté, Jacques Normand doit interpréter un très large répertoire de chansons françaises, puisque le public peut réclamer n’importe quel morceau. L’émission est un franc succès.
Au Faisan Doré
Les frères Edmond et Marius Martin étaient propriétaires du Vieux Val d’Or, remplacé par le Faisan Doré. Ils tentent de recruter de nouveau Jacques Normand, qui accepte d’y animer un cabaret. Celui-ci mettra de l’avant une multitude d’interprètes, de divers styles, mais aussi des jeunes de la relève.
Dans cette véritable boîte à chansons, on y entendra les Jean Rafa, Charles Aznavour, Paul Berval, La Poune, Denise Filiatrault, Fernand Gignac, etc. Raymond Lévesque, derrière la chanson Quand les hommes vivront d’amour, était d’abord garçon de table et plongeur au Faisan Doré, avant de pouvoir tenter sa chance sur la scène.
C’est ainsi que naissent véritablement Les nuits de Montréal. Cette chanson, interprétée par Jacques Normand, raconte aussi l’effervescence de l’époque des cabarets et l’émergence de la chanson québécoise. Sur les paroles de Jean Rafa et la musique d’Émile Prud’Homme, Jacques Normand en fait la chanson-thème de ses cabarets.
En 1950, Jacques Normand décide de quitter le Faisan Doré et cet important cabaret ferme ses portes. Il se lance ensuite dans un nouveau cabaret, le Saint-Germain-des-Prés, en hommage au nom du quartier artistique de Paris. On y retrouve d’autres vedettes émergentes : Pauline Julien, Dominique Michel, Muriel Millard, Clémence DesRochers, etc. Il anime également au Continental et aux Trois Castors.
Saut au petit écran
Dès le lancement de la télévision de Radio-Canada, en 1952, Jacques Normand se fait approcher. Il va d’abord faire le clown dans une émission de quiz, Le nez de Cléopâtre. Puis, il anime Le café des artistes. On y retrouve notamment Janette Bertrand, Jean Lajeunesse, Olivier Guimond et Lucille Dumont.
À la même époque, il se rend au Japon et en Corée, afin de divertir les soldats impliqués dans la guerre de Corée.
À la télévision, il enchaîne les contrats d’animation ou de coanimation sur des émissions comme Rêve et réalité, Faites vos jeux, Porte ouverte ou Place aux femmes. Puis, Paris, Jacques Normand participe aussi à deux courts métrages : Frère Jacques et Normandises.
Son plus grand succès reste cependant à venir.
Les Couche-Tard
En 1960, suivant l’inspiration d’un talk-show américain animé par Jack Parr, on propose à Jacques Normand d’animer une émission dans le même style sur les ondes de Radio-Canada. Il serait alors accompagné de son vieil ami Roger Baulu pour l’animation des Couche-Tard. Cette émission est diffusée le samedi soir, juste après le match de hockey.
On y invite des gens de divers horizons, des artistes aux ministres. Jacques Normand doit régulièrement être rappelé à l’ordre, car son penchant pour la boisson lui cause régulièrement des ennuis. Alors que l’émission recevait le recteur de l’université de Montréal, Mgr Olivier Maurault, Jacques Normand l’introduit en lui attribuant l’épithète de «rectum de l’Université de Montréal».
À la même période, alors qu’il succède à Michelle Tisseyre à l’animation de Music-Hall, il fait la rencontre de Linda Foy, danseuse de ballet de 22 ans, qu’il épouse. Encore une mois, le mariage ne dure pas.
En 1969, une opération lui permet de recommencer à marcher plus aisément. Il décide ensuite de voyager un peu partout : Grèce, Italie, Japon, Haïti. Au retour de voyage de Jacques Normand, on décide de remplacer Roger Baulu par Claude Landré à la coanimation des Couche-tard. On souhaitait alors donner un nouveau souffle à l’émission. Celle-ci prend officiellement fin en 1970.
Retour à la radio et dernières années
En plus de donner un peu dans la chanson, après la fin des Couche-Tard, Jacques Normand revient à ses premières amours : la radio. Il anime une émission de ligne ouverte sur les ondes de CKVL.
Après divers retours à la télévision, il se dirige vers la station CKCV, à Québec, où il anime l’émission du matin pendant neuf mois, tout en signant une chronique quotidienne dans Le Soleil.
En 1976, Jacques Normand accepte la présidence des fêtes de la Saint-Jean, un succès selon les journaux de l’époque. L’année suivante, il crée un certain tollé en acceptant de présider la fête du Canada.
Au mois d’août 1977, il retrouve de nouveau Roger Baulu, cette fois-ci à CKAC. Le duo anime le dimanche soir Les couche-tôt.
À la fin des années 1970, sa santé décline de plus en plus. Dans les années 1980, on lui diagnostique un cancer de la prostate. Jacques Normand subit une intervention chirurgicale en 1991, après quoi les médecins ne détectent aucune métastase.
En 1995, Jacques Normand est reçu chevalier de l’Ordre national du Québec. L’année suivante, c’est au tour du Festival Juste pour rire de lui rendre hommage. En 1997, un nouveau cancer l’accable, cette fois-ci à la gorge.
Le 7 juillet 1998, il s’éteint dans une chambre de l’hôpital Notre-Dame de Montréal. Jacques Normand repose en paix au cimetière Côte-des-Neiges. Aujourd’hui, la toute petite rue Jacques-Normand, située dans le quartier Saint-Sauveur, entre les rues Boisseau et Napoléon, rappelle son souvenir.
Pour Jean Bissonnette, réalisateur et producteur de télévision qui a régulièrement travaillé avec Jacques Normand, ce dernier est le «père des actuels “stand up comics”, alors qu’on les appelait alors des chansonniers.
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources
ARTUS, «Normand, Jacques», Répertoire des artistes du Québec.
Commission de toponymie du Québec, «Rue Jacques-Normand».
GAUTHIER, Robert, Jacques Normand, l’enfant terrible, Éditions de l’Homme, Montréal, 1998, 276 p.
NORMAND, Jacques, «Québec, une ville qui sait parler aux êtres humains», Le Soleil, 3 février 1975, p. A-7.
Presse Canadienne, «Jacques Normand s’éteint à 76 ans. Généreux mais redoutable», Le Soleil, p. B-3.
Radio-Canada Archives, « Jacques Normand : l’enfant terrible de la télévision », 6 juillet 2018.
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