Klödy Tremblay : la force des rivières
Monsaintroch s’est entretenu en mars avec Klödy Tremblay, dans son logement-atelier de Saint-Roch. Membre du collectif de la Galerie Bécot, l’artiste s’est construite sa notoriété au fil de près de quarante ans de carrière.
« Ce sont les autres qui nous mettent dans la catégorie artiste », soutient humblement Klödy Tremblay, native d’une famille de dix enfants du Saguenay. Cela, malgré son parcours impressionnant ponctué entre autres d’expériences comme agente d’artistes et de journaliste indépendante en art. « Il coule en moi beaucoup de force de ses rivières », affirme l’arrière-grand-mère aux traits juvéniles et au dynamisme contagieux. Elle privilégie dans sa peinture – entre autres expressions créatives –, l’acrylique, en y ajoutant différents collages pour ses œuvres de grande envergure.
D’où vient ta passion des arts, de la peinture en particulier? Quel apprentissage a mené à ta carrière?
J’ai toujours aimé dessiner! À six ou sept ans, à la maison, j’avais l’habitude de le faire dans les pages blanches des livres de ma mère, sur tout ce que je trouvais comme papier. Je griffonnais toutes sortes de choses que je collais sur les murs. Maman n’en revenait pas de me voir user si vite ce qu’elle me fournissait en peinture aquarelle, crayons de couleur et cartables pour faire des « barbots », comme j’aime si bien le dire aujourd’hui. En fait, j’explorais déjà l’abstraction sans savoir ce que c’était.
Déjà, à l’école, on me destinait aux beaux-arts. Pour l’anecdote, en 8e année, une religieuse nous a demandé, à moi et à une autre élève douée, de reproduire un grand paysage de Noël. Mais moi, je voulais faire de la création. Pendant que tout le monde était dans la cour d’école, j’ai ajouté des couleurs, des ombrages, et ils ont tous applaudi au retour. J’ai été délinquante, et je le suis encore!
En 1983, de retour aux études au Cégep de Sainte-Foy, j’ai obtenu un diplôme en arts plastiques. Des artistes réputés m’ont enseigné, comme Don Darby. André Bécot ne m’a pas donné de cours, mais je suivais ses expositions dans sa première galerie sur la rue Saint-Jean, soit bien avant sa galerie actuelle dans Saint-Roch.
Enfin, au début du millénaire, j’ai complété un baccalauréat en arts visuels à l’École d’art de l’Université Laval. Avec en poche mon bagage d’expositions, et comme autodidacte qui s’intéressait à tout, j’y pratiquais aussi le plâtre, le bois et le métal. J’étais très heureuse! Depuis, j’ai cumulé 20 autres années de productions en explorant des domaines autres que la peinture, comme la sculpture et la photo.
Quelles sont tes grandes sources d’inspiration, tes thèmes préférés?
Au début des années 1980, j’ai visité des musées à New York. J’y revois la gestuelle de Monet, son impressionnisme, ses nénuphars… Cet homme-là, productif même très vieux et aveugle, a toujours été fasciné par la transparence de l’eau. Ce que tu vois près de ses toiles, ce sont des « barbeaux ». Mais quand tu t’en éloignes, ça fait toute la différence. Tout comme Picasso, aussi, Jackson Pollock a réussi à faire des choses inimaginables. Quand tu contemples tout ça en réel, ça n’a rien à voir avec des illustrations : l’œuvre est vivante, elle te parle!
Je suis aussi très proche de l’art africain, comme de celui inspiré de la culture autochtone de tous les pays. Leur pureté me fascine, c’est spirituel! Dans les années 1990, j’ai découvert les Maoris et leur univers enchanté du bout du monde, en Polynésie. Les fleurs, les îles volcaniques avec leurs arêtes en dentelles aux tons vert tendre, la mer turquoise… L’explosion de couleurs s’est révélée en moi, alors qu’auparavant, j’étais plutôt monochrome en jouant avec des couleurs semblables.
Par la suite se sont ajoutés la musique, le jazz, le blues, puis le thème du flamenco est arrivé en 2017. J’ai même suivi des cours pour rester en forme et faire des poses. Ça m’enflamme, et quand ça décolle, n’essayez pas de m’arrêter!
Quelles sont les réalisations dont tu es particulièrement fière, tes expositions marquantes?
J’ai d’abord été membre fondatrice de « Fol Art » en 1994, un collectif multidisciplinaire composé de comédiens, des musiciens et des artistes en arts visuels. Ce projet faisait suite au cours d’agent d’artistes que m’avait donné Suzanne Richard, aujourd’hui décédée. Elle était pour moi un modèle de polyvalence, ayant à cœur de regrouper des artistes pour produire des choses sublimes.
Étant habitée par le jazz, l’une de mes toiles a illustré en 1995 le poster des Nuits blacks. L’année suivante, le Festi Jazz m’a invitée à Rimouski. J’ai pu y rencontrer beaucoup de musiciens, chanteurs et chanteuses. J’ai même fait des arts sur scène avec eux, et depuis, j’ai l’impression que je fais partie des leurs. En 1997 est venue mon exposition inspirée de ma rencontre avec les Maoris, Les Tams-tams, avec des tableaux de très grands formats. C’était aussi ma première grande exposition, et le journaliste Michel Bois en avait fait un super article!
J’ai fondé Ouverture sur le monde en 2000, un collectif de l’Université Laval représenté par des artistes autodidactes de la relève. En 2010, il y a eu l’exposition L’empreinte beat, au Largo, qui a ensuite déménagé au Palais Montcalm et au Capitole. On en a parlé beaucoup, et un livre en est même sorti.
À partir de 2011, j’ai ajouté plusieurs autres expositions sur le thème du blues, très médiatisées à Radio-Canada. Puis en 2016, c’est avec beaucoup de fierté que j’ai exposé Petite fleur au Sherpa. C’était ma renaissance, comme Suzie Genest l’avait très bien exprimée dans son article. On avait quatre musiciens, et une centaine de personnes s’étaient déplacées pour voir mes tableaux dans une magnifique vitrine.
En ce moment, ce qui retient surtout ton attention, c’est ce qui se passe en Ukraine…
C’est inimaginable : on doit tous, ensemble, s’opposer à cette guerre! On vit une sorte d’angoisse collective qui nous donne souvent envie de fermer la radio, de ne plus rien entendre. C’est anxiogène. Mais moi j’ai besoin, justement, d’entendre ce qui leurs arrivent parce que ça pourrait aussi nous arriver. Ces gens-là perdent tout sous les bombardements : maison, souvenirs, photos, histoire… Tassés dans des tunnels, ils cherchent à combler leurs besoins primaires, se demandant s’ils auront un pays d’accueil. Un seul homme qui décide du sort de millions d’autres en leur faisant vivre ces atrocités, c’est inconcevable!
Comme je ne peux pas aller là-bas, fusil à l’épaule, ma manière à moi de soutenir les Ukrainiens est de créer une série d’œuvres pour les exposer. Les combattants pour la paix, ce sont des oiseaux, hommes et femmes, qui veulent la paix, mais prêts aussi à défendre ce pays. J’en ai 31 au total en petits formats, des acryliques sur papier d’Arches que j’ai traité un peu comme de l’aquarelle, en plus de mon grand tableau, L’oiseau, à la Galerie Bécot pour la deuxième exposition de Manif d’Art.
Pour conclure, si l’on parlait de ton attachement au quartier Saint-Roch?
J’adore la basse-ville, et Saint-Roch malgré quelques inconvénients comme les travaux de préparation de l’arrivée du tramway. Mais n’empêche : il y a toutes sortes de monde, des étudiants, des familles qui commencent à s’y installer, des immigrants… Je suis proche des autobus, et je vis au cœur d’une belle communauté artistique. Il y a de nombreux événements culturels incluant les expositions des étudiants de l’Université Laval. Et j’aime fréquenter le milieu de la musique sur Saint-Joseph avec ses institutions comme le District et l’Impérial!
Klödy Tremblay nous invite à découvrir dans son site Web des albums photo de sa production. Par ailleurs, elle prépare son exposition Les combattants pour la paix, dans un lieu qui sera précisé sous peu. S’ajoutera plus tard … en suivant les rivières. À surveiller sur la page Facebook de l’artiste!
Des toiles de Klödy sont par ailleurs régulièrement exposées à la Galerie Bécot.
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