En 1946, un ancien résident de la rue Arago, Edmond Lachance, vétéran du Royal 22e Régiment, inaugure à Notre-Dame-des-Laurentides, près du lac Clément, une salle de spectacle ayant pour nom le Horse Shoe club. L’année suivante, afin d’éviter des poursuites judiciaires, il simule son suicide sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal.
Edmond Lachance et le Horse Shoe Club
En 1946, un ancien résident de la rue Arago, Edmond Lachance, vétéran du Royal 22e Régiment, inaugure à Notre-Dame-des-Laurentides, près du lac Clément, une salle de spectacle ayant pour nom le Horse Shoe club. L’année suivante, afin d’éviter des poursuites judiciaires, il simule son suicide sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal.
De Sainte-Justine à Saint-Roch
Lorsque le Canada déclare la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939, Edmond Lachance, alias « Ti-Bi » est âgé d’environ 18 ans. Il réside depuis peu au 155, rue Arago – probablement l’actuel 85, rue Arago Est – chez ses parents, Joseph-Edmond Lachance, journalier, originaire de Sainte-Justine (près de la frontière américaine), et Aurea Monty, native de Lowell au Massachusetts.
Occupée également par un pompier du nom de Georges Drolet, cette propriété du quartier Saint-Roch, à proximité de la rue Turgeon, se trouvait à quelques pas de la tannerie d’Edgar Clément, aujourd’hui le 33-41, rue Arago Est.
Le 8 décembre suivant, enrôlé au sein du Royal 22e Régiment, le jeune Edmond Lachance quitte Québec pour l’Angleterre afin de « subir, comme toute l’armée canadienne, l’influence des nouvelles tactiques de guerre modernes[1] ».
Une rencontre improbable
À la fin de l’été 1940, alors qu’il patrouille la campagne anglaise sur sa motocyclette, l’estafette Edmond Lachance aperçoit, vers 9 heures du soir, un homme marchant seul sur la route. Afin d’identifier cet inconnu et de connaître la raison de sa présence, il part aussitôt en sa direction.Arrivé près de lui, il lui demande d’un ton autoritaire : « Qui va là ? »
À sa grande surprise, c’était son père qui était à sa recherche. Sans nouvelles de son fils, il croyait que le pire lui était arrivé. De son côté, n’ayant pas reçu les lettres de son père, Edmond Lachance ignorait complètement que ce dernier s’était engagé au sein de la 18e ambulance de campagne et qu’il se trouvait en ce moment même à Aldershot, en Angleterrre, à quelque 32 kilomètres du lieu de cantonnement de son régiment.
Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Le 29 juin 1941, toujours stationné en Angleterre, Edmond Lachance décide d’unir sa destinée à une jeune Anglaise, Elisabeth Mabel Freestone, de Couldson, comté de Surrey[2]. Ayant son père pour témoin, le jeune soldat canadien promet à sa future épouse de l’aimer pour le meilleur et pour le pire, en état de maladie ou en bonne santé, jusqu’à ce que la mort les sépare… Laquelle aurait pu survenir deux ans plus tard lors de sa participation à la conquête de la Sicile et à la libération de l’Italie.
N’ayant pas été blessé, mais ayant subi un violent choc nerveux, le sergent Edmond Lachance est accueilli le 27 avril 1944 à la gare de Lévis par des membres de sa famille, dont sa mère, son frère Clément et son épouse, arrivée au Canada quelques mois plus tôt[3].
L’orchestre de Roger Angers
Deux ans après son retour au pays, résidant désormais avec son épouse dans un logement des Appartements Rita, au 2, rue Turnbull[4], Edmond Lachance décide d’abandonner son emploi de maître des postes pour ouvrir une « spacieuse salle de danse » à Notre-Dame-des-Laurentides, près du lac Clément. (C’était autrefois la propriété de son ancien voisin de la rue Arago, le tanneur et marchand de cuir Edgar Clément.)
Il compte sur des partenaires d’affaires de Limoilou et de Saint-Roch : Roger Angers, chef d’orchestre de la 16e Rue, Robert Brissette, commis de bureau de la rue Normandie, et Georges Drolet, pompier et ami de la famille Lachance du 155, rue Arago.
Le 20 avril 1946, le vétéran du Royal 22e Régiment peut ainsi procéder à l’ouverture du Horse Shoe Club[5]. Pour cette occasion, le trajet en autobus du Carré Jacques-Cartier à Notre-Dame-des-Laurentides est offert gratuitement à ceux et celles souhaitant danser sur la musique de l’orchestre de Roger Angers, écouter les chansons de Paul Bédard et admirer deux charmantes ballerines, dont la jeune sœur du propriétaire, Clémence Lachance, âgée d’environ huit ans.
Pour la rentabilité de ce nouveau club, des frais d’admission de 3 $ par couple sont exigés[6]. La vente de boissons alcooliques y est formellement interdite par la loi, mais apparemment approuvée par Edmond Lachance.
La plus petite ballerine du Canada
Quelques jours plus tard, un tout nouveau spectacle est présenté au Horse Shoe Club. Pour trois soirs seulement, celui-ci met en vedette, par ordre d’apparition, des artistes sur une annonce publiée par Edmond Lachance dans Le Soleil du 7 mai 1946. Il y a Jimmy Rollins, « danseur de couleur extraordinaire » de New York, Clémence Lachance, la plus petite ballerine du Canada, Sweet heart of the air, alias Jeanne Henchey, Jacques Normand, maître de cérémonie, et Roger Angers et ses dix musiciens[7].
Le 6 septembre suivant, le Horse Shoe Club accueille cette fois-ci deux invités surprises de Beauport. En visite à l’Exposition provinciale de Québec, deux pensionnaires de l’asile avaient décidé de prolonger le plaisir jusqu’à Notre-Dame-des-Laurentides.
Randonnée en campagne. Pendant que l’on promenait hier après-midi une partie des pensionnaires de l’asile de Beauport à travers les divers kiosques de l’Exposition provinciale de Québec, deux aliénés ont réussi à prendre la clef des champs et à s’enfuir dans la campagne. Quelle ne fut pas la surprise de M. Lachance, propriétaire du Horseshoe Club, à Notre-Dame-des-Laurentides, de les voir arriver vers l’heure du souper, fatigués de leur randonnée de 12 milles à travers la campagne québécoise. On leur donna à souper pendant qu’on avertissait les autorités de l’asile de Beauport. Vers 7 h 30, une camionnette et des gardiens venaient chercher les deux aliénés et les ramenaient au bercail[8].
La séparation de corps
À l’automne 1946, les choses se compliquent pour Edmond Lachance. Après avoir commis plusieurs infractions à loi des liqueurs alcooliques et demandé à sa clientèle de venir se recréer tout en aidant un vétéran du 22e Régiment, il voit son épouse Elizabeth Mabel Freestone réclamer en justice la séparation de corps[9]. Les époux de guerre seront toujours mariés, mais n’auront plus l’obligation de faire vie commune.
À compter du 31 octobre, date du jugement de la cour, le nom de « Madame Lachance » apparaît désormais sur les annonces du Horse Shoe Club. Le 25 novembre suivant, celle-ci annonce dans Le Soleil une veillée de la Sainte-Catherine, entrée gratis, se tenant le soir même, avec l’orchestre de Lloyd Duncan[10]. Par un drôle de hasard, il semble que cette fête en l’honneur des « vieilles filles », ou des femmes célibataires, fut le dernier événement tenu à cet endroit, sous la direction de la famille Lachance.
À vendre « Horse Shoe Club », Notre-Dame des Laurentides, Qué. Restaurant et salle de danse. Magnifique chalet de 78 pieds de front par 50 pieds de profondeur, situé à environ 12 milles de Québec. Terrain de 180 pieds de largeur par environ 500 pieds de profondeur. Pour toutes informations. S’adresser à Lefaivre, Marmette & Lefaivre, syndics. 111, côte de la Montagne, Québec, Qué. Québec, le 28 décembre 1946[11].
Une nouvelle direction
Suivant la faillite de son époux, le Horse Shoe Club est vendu le 14 mars 1947 à la porte de l’église de Notre-Dame-des-Laurentides[12]. Acquis par Rolland Laberge de l’avenue de la Normandie, cette propriété est revendue peu de temps après à Émile Asselin[13]. Lequel avait probablement obtenu du financement de son oncle Léopold Dorion, agent d’assurance de la 4e avenue, à Limoilou.
Le 15 juillet 1947, trois jours après sa réouverture, le Horse Shoe Club présente nulle autre que la talentueuse artiste québécoise Alys Roby. Bien qu’il ait été retardé par un orage, son spectacle fut, selon Le Soleil, fort apprécié! Denis Drouin, qui faisait partie des invités, « sut attirer [également] les applaudissements nourris des invités[14] ».
Un fraudeur aux tendances suicidaires
Vers la mi-octobre 1947, afin de redresser « rapidement » sa situation financière, Edmond Lachance, qui se propose de mettre sur pied une album-souvenir pour les anciens combattants, a « l’heureuse idée » de majorer le montant d’un chèque reçu pour une publicité, de 6 $ à 6000 $[15]. N’ayant pu l’encaisser lui-même à Hull [Gatineau], il demandera à son père de le faire à Québec[16].
Le mois suivant, afin d’éviter des poursuites judiciaires, l’ancien propriétaire du Horse Shoe Club a cette fois-ci « l’idée géniale » de simuler son suicide sur le pont Jacques-Cartier, à Montréal. Dans la nuit du 16 au 17 novembre, il abandonne au centre de cette structure une luxueuse voiture louée dans laquelle il prend soin d’y laisser son portefeuille contenant divers documents personnels, dont « un certificat de licenciement de l’armée, attestant que le porteur faisait autrefois partie du régiment Royal 22e […] et notamment, une lettre adressée à une jeune fille qui habite la ville de Trois-Rivières, lettre dans laquelle le signataire avait écrit qu’il avait trop aimé cette jeune fille et qu’il était alors en train de mettre fin à tout[17] ».
Environ une semaine plus tard, Joseph-Edmond Lachance, 54 ans, du 155, rue Arago, se présente à la succursale de la Banque de Montréal de Saint-Roch pour y encaisser le chèque préparé par son « défunt fils ». Deux jours plus tard, ce dernier, qu’on savait depuis vivant, et non au fond du Saint-Laurent, est arrêté à Trois-Rivières[18]. Le 31 décembre 1947, pendant qu’on célèbre le jour de l’an au Horse Shoe Club dans un « féérique décor laurentien » avec chapeaux, ballons et bruiteur, Edmond Lachance et son père sont tous les deux au chaud, derrière les barreaux, le premier à Montréal, le second à Québec[19].
Rebonjour monsieur le juge!
À sa sortie de prison, le fils est frappé par un autre « éclair de génie ». De septembre 1950 au 6 avril 1951, il fraude le public d’une somme de 8 000 $ par le biais d’une loterie, dont la vente de billets était promue par une photo animée d’un pape bénissant. En 1956, Elizabeth Mabel Freestone, coiffeuse, résidant à Montréal, demande au Parlement du Canada l’obtention d’un « bill de divorce » d’avec son mari Edmond Lachance, commerçant de la ville de Québec, en donnant comme motif l’adultère[20]. Ce projet de loi est sanctionné l’année suivante.
Le 12 avril 1990, à l’âge de 69 ans, Edmond Lachance, époux en secondes noces de Pauline Rheault, rend l’âme à l’Ancienne-Lorette. Visiblement, ce vétéran du Royal 22e Régiment aimait jouer avec le feu. À propos du Horse Shoe Club qu’il a fondé en 1946, celui-ci ferma ses portes trois ans plus tard. Le dernier propriétaire de cette salle de danse de Notre-Dame-des-Laurentides fut Marc-André Boisclair, père de l’ancien chef du Parti québécois, André Boisclair[21].
[1] Le Soleil, Québec, 8 octobre 1940, p. 3 et 6.
[2] Le Soleil, Québec, 3 janvier 1942, p. 7.
[3] Le Soleil, Québec, 28 avril 1944, p. 15.
[4] Aujourd’hui, en 2022, il s’agit du 810, avenue Turnbull.
[5] Le Horse Shoe Club se trouvait près de l’actuel 2460, avenue de la Rivière-Jaune.
[6] Le Soleil, Québec, 20 avril 1946, p. 15-16.
[7] Le Soleil, Québec, 7 mai 1946, p. 10.
[8] Le Soleil, Québec, 7 septembre 1946, p. 3.
[9] BAnQ Québec, TP11,S1,SS777 (1980-09-026/4483), Liste des jugements de séparation de biens – de corps et de corps et de biens antérieurs à 20 Geo. V. ch. 96 – 1930, 31 octobre 1946, cause n° 51429.
[10] Le Soleil, Québec, 25 novembre 1946, p. 10.
[11] Le Soleil, Québec, 30 décembre 1946, p. 18.
[12] Le Soleil, Québec, 7 mars 1947, p. 16.
[13] Le Soleil, Québec, 27 mars 1947, p. 26.
[14] Le Soleil, Québec, 19 juillet 1947, p. 13.
[15] L’Action catholique, Québec, 22 décembre 1947, p. 5
[16] Le Soleil, Québec, 4 février 1948, p. 20.
[17] Le Canada, Montréal, 17 novembre 1947, p. 3.
[18] Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 28 novembre 1947, p. 11.
[19] Le Soleil, Québec, 30 décembre 1947, p. 6.
[20] Le Soleil, Québec, 29 septembre 1956, p. 22.
[21] Le Soleil, Québec, 22 janvier 2001, Extra, p. 2-3.
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