Le temps d’un café avec Valérie Gaudreau dans l’îlot des Tanneurs

Des journalistes en chair et en os vivent dans nos quartiers. Rédactrice en chef au journal Le Soleil, Valérie Gaudreau y a assumé différentes fonctions depuis 2003, incluant la présidence par intérim de la coop. Elle habite dans l’îlot des Tanneurs, à quelques minutes des bureaux du quotidien. Son histoire de proximité avec Saint-Roch ne s'arrête toutefois pas là.

Le temps d’un café avec Valérie Gaudreau dans l’îlot des Tanneurs | 10 avril 2022 | Article par Suzie Genest

Crédit photo: Suzie Genest

Des journalistes en chair et en os vivent dans nos quartiers. Rédactrice en chef au journal Le Soleil, Valérie Gaudreau y a assumé différentes fonctions depuis 2003, incluant la présidence par intérim de la coop. Elle habite dans l’îlot des Tanneurs, à quelques minutes des bureaux du quotidien. Son histoire de proximité avec Saint-Roch ne s’arrête toutefois pas là.

Si la famille Gaudreau vivait à Orsainville, le père de Valérie travaillait dans Saint-Roch. C’est là, dans une caisse populaire, comme on les appelait alors, qu’elle a eu un emploi d’étudiante. Une vingtaine d’années plus tard, en 2013, une entrevue de deux heures avec Jean-Paul L’Allier, dans le jardin qui porte aujourd’hui son nom, allait lui donner l’occasion de parler des mutations de Saint-Roch depuis cette époque.

« Étonnamment », comme elle le dit si bien, c’est par le graphisme que Valérie est arrivée au journalisme. Cette passionnée des arts visuels et de l’illustration a opté pour une technique au Cégep de Sainte-Foy. Bien qu’elle adorait l’actualité, une carrière journalistique lui paraissait inaccessible.

« Ma famille n’était pas du tout dans le milieu, mais on était une famille informée. J’ai grandi à la fois avec André Arthur et Bernard Derome, toujours avec Le Soleil chez nous. On parlait beaucoup de politique. Mais dans ma tête, je ne pouvais pas faire ce métier-là, ça m’apparaissait trop magique! »

C’est entre les pochettes de groupes de musique et les rapports annuels du ROC-03 que Valérie a fait ses premiers pas sur le marché du travail.

« Il y avait quand même cette notion d’expliquer, vulgariser, faire comprendre : la communication visuelle et le journalisme ont beaucoup en commun. »

En 1997, Valérie est entrée au baccalauréat en communications à l’Université Laval. Intéressée par l’analyse des médias « dans les années du Sommet des Amériques », elle dévorait Marshall McLuhan et Noam Chomsky. « J’ai été à Impact Campus, un peu au Carrefour de Québec. J’ai fait un stage au Soleil en 2003, j’y suis restée. »

Valérie Gaudreau devant le mur jaune du bâtiment de la Charpente des fauves
« Il n’y a pas de mauvais sujet. C’est un peu ça que je veux transmettre aux jeunes. On sent chez les jeunes journalistes une grande propension à l’opinion. Les blogues, la mise en scène de soi… ça peut être très efficace, mais… Il faut que tu t’oublies un peu, particulièrement dans les premières années. »

« La polyvalence, ce n’est pas un slogan »

Lorsque Valérie partage son expérience avec des journalistes de la relève, elle leur parle de polyvalence. Elle en sait quelque chose, « ce n’est pas un slogan ».

« J’ai commencé aux faits divers, c’était très formateur. J’ai fait des fins de semaine. J’ai obtenu ma permanence en 2007, quatre ans après mon arrivée, grâce au pupitre. Et là : tadam, on retrouve le côté communications graphiques! L’exécution technique de la mise en page papier, je capotais! J’ai adoré. Autant maintenant dans le numérique, on sait combien le titrage est fondamental, l’image… Sincèrement, j’aurais fait une carrière de pupitre. J’aurais été à l’aise là-dedans, dans l’ombre. »

Néanmoins passionnée du terrain, qu’elle conciliait alors avec le pupitre, Valérie estime que 2011 a marqué « le vrai move ». C’est à ce moment qu’elle a été affectée aux affaires municipales, jusqu’en 2017. Elle a ensuite accepté de devenir cheffe des nouvelles. Sur ce parcours, quel a été son plus grand défi?

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« Sérieusement, ça a été d’arriver dans un métier en transformation comme ça n’a pas de bon sens. En 2003, on nous disait : vous allez être pigistes, Internet commence, vous allez voir, tout le monde va être journaliste. Le journalisme citoyen, moi personnellement, je trouve que c’est maintenant qu’on le voit. »

Beaucoup de départs à la retraite ont marqué cette période de restructuration du métier. « Naviguer à travers une presse en mouvement, en décroissance, et garder espoir dans le métier, à travers ça » : tel a été le plus grand défi de Valérie. De 2003 à 2020 –  « des années incroyables pour la presse » – elle a assisté à des vagues de coupes, qui l’ont épargnée.

Un moment marquant qui a changé sa perspective? La tuerie de la mosquée. Valérie, qui l’a couverte sur le terrain, a vu notre « petite ville tranquille devenir le centre du monde ». Envisager la suite, pour notre ville, lui a fait peur. « Ça a mis la table beaucoup au climat actuel de polarisation », évalue-t-elle.

« Je déclare mes intérêts »

Autour du Soleil, Valérie jongle avec quelques engagements personnels. Bénévole au journal La Quête, elle est aussi à la barre de l’émission littéraire Épilogue à la radio communautaire CKIA 88,3, en plus de son implication à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Est-il difficile de concilier un désir d’implication dans la communauté avec la déontologie journalistique?

« Excellente question! Le fil conducteur, pour éviter les conflits d’intérêt, ça a toujours été : quelle expertise je peux apporter? Pour moi, elle est essentiellement journalistique. Je ne fais pas de levée de fonds pour un organisme, aussi bienfaisant soit-il. Je n’anime pas non plus pour des entreprises privées. Caractère public, communautaire, à but non lucratif, milieu où le fait d’être journaliste est cohérent… Évidemment, je pourrais tripper sur le curling et être dans un club! »

« À CKIA, malgré toutes mes implications depuis 23 ans déjà, je n’ai jamais été sur le CA. Je déclare mes intérêts. Je t’ai déjà toi-même interviewée pour du verdissement! J’ai toujours déclaré mon intérêt du fait que je résidais devant le fameux stationnement Dorchester. Une fois, un photographe est venu faire une photo par ma fenêtre… On pourrait, à tort ou à raison, penser qu’à titre de résidente, j’ai un intérêt à ce que ce soit construit pour la densité, ou que ce ne soit pas construit pour la vue. »

On peut parfois lire Valérie dans le Magazine Continuité. À l’occasion, pour Le Soleil, lors d’événements journalistiques ou littéraires, elle anime aussi des rencontres et panels.

« Nous ne sommes pas payés par le gouvernement! »

Les mythes véhiculés au sujet des journalistes, des médias, du travail d’information ont la vie dure. Lequel en particulier la rédactrice en chef du Soleil aimerait-elle déboulonner?

« Nous ne sommes pas payés par le gouvernement! La propriété ne change pas le quotidien des journalistes. Le propriétaire n’a jamais influencé le contenu, peu importe que ça ait été Gesca, Power Corporation… On n’est pas fous : ça change les grandes orientations générales, des dépenses, du volet administratif. Mais de là à penser qu’on a été manipulés…

Il y a eu une recrudescence de ça avec la pandémie. J’ai été interpellée sur Twitter en me faisant dire que mon salaire était payé personnellement par M. Legault! Cette mécompréhension entre l’aide aux médias et l’influence sur le contenu, je le résumerais comme ça, le mythe. »

Il y a des cas où la provenance des fonds influence le contenu, dit Valérie, mais ce sont des médias essentiellement au service d’une cause, non pas des médias généralistes.

« De penser que quelqu’un au bureau du premier ministre va dire : en passant, j’aimerais que vous soyez plutôt favorables au vaccin! Les meilleurs exemples, ce sont les services publics partout dans le monde. Radio-Canada, CBC, n’oublions pas que la majorité des grosses enquêtes publiques émergent beaucoup de ces médias-là. »

Valérie Gaudreau dans la rue Horatio-Nelson
« J’ai tellement eu des bons rapports avec tous mes supérieurs! Je n’ai jamais senti que je n’avais pas ma place. »
Crédit photo: Suzie Genest

« Sortir de nous-mêmes »

Valérie estime que l’éducation aux médias, c’est « extrêmement important ». Elle avoue avoir « un peu peur pour l’avenir » pour ce qui est de la capacité d’identifier les sources d’information consultées. « Les jeunes, eux, un journal traditionnel ça n’existe pas. Il va y avoir eu l’algorithme, le deepfake… », évoque-t-elle. Pour favoriser l’éducation aux médias, elle cite d’abord le programme 30 secondes avant d’y croire. Et puis, les médias eux-mêmes ont une part de responsabilité, selon elle.

« Il faut faire un mea culpa aussi, comme médias généralistes. Il faudrait une plus grande diversité, c’est essentiel. Je ne veux pas être populiste, mais c’est encore dominé par des blancs, francophones, d’une certaine aisance, d’un certain degré d’éducation. »

Valérie déplore les titres de « covidiots » en première page. En alimentant un tel « éditorial » et la polarisation de la population, on perpétue le problème.

« Cela m’amène à ma troisième réponse : expliquer, expliquer, expliquer. Tenir pour acquis que les gens savent, c’est faux! Éric Trottier, notre nouveau directeur général arrivé de Montréal, ça faisait plus ou moins un mois qu’il était en poste. Il m’a dit : “Val, dans tous nos textes, il n’y a pas une fois le tracé du tramway.” J’ai dit : “Tu as vraiment raison!” Pensez un peu à la personne qui n’a pas toute votre connaissance… Le grand public a déjà l’impression qu’on est pro-tramway. Il faut sortir de nous-mêmes un peu! »

L’intérêt (du) public

Même dans un grand quotidien, on arrive plus vite aux limites des ressources qu’au bout de sujets potentiels. Qu’est-ce qui guide les priorités?

« C’est un savant mélange d’intérêt public et d’intérêt du public. On veut être lu. Je ne dis pas d’être complaisant, mais si c’est de contribuer par un angle différent, une curiosité, un titre original… On veut aussi plaire aux lecteurs, il faut se distinguer. »

Le nickel, actuellement, offre un bel exemple, dit Valérie. Le sujet est plutôt aride, beaucoup de gens hors du Vieux-Limoilou se sentent moins concernés. Ça ne donne pas les articles les plus populaires, mais « il faut en parler, c’est un sujet d’intérêt public réel ». « Il y a tout là-dedans : l’arrivée d’un nouveau maire, l’environnement, une population qui se soulève, un certain bras de fer provincial-municipal. Une des pas pires épines dans le pied pour le maire! »

Et puis il y a la place du média dans le paysage médiatique.

« Sur les six coops de l’information, on est les seuls à avoir un quotidien d’impact. Il y a une présence forte du Journal de Québec, on veut se distinguer. Pourquoi les gens auraient envie de nous lire si on leur dit ce qu’ils savent déjà?

Je mets beaucoup les médias hyperlocaux là-dedans. Il y a une concurrence dans le très local. Vous êtes des joueurs importants, quand on parle de commerce au détail, de décisions urbanistiques… On vous regarde vraiment de près. »

Le Soleil a été « en quête identitaire dans les années 2010 », se rappelle Valérie. Celui qui avait été un média national ne l’était plus autant, du moins pas comme La Presse, détaille-t-elle.

« Honnêtement, le meilleur geste qu’a fait Le Soleil ces dernières années, c’était aussi d’admettre que sa force, elle est locale. J’adore le slogan qu’on a sorti au moment où on est partis dans l’abonnement payant en novembre 2020 : local de calibre mondial. »

L’abonnement payant est une clé pour la pérennité des médias d’information, selon Valérie. Reste l’enjeu de la congestion potentielle : la limite de ce que les gens peuvent consommer. L’information, rappelle-t-elle, se dispute un part du portefeuille des consommateurs avec le divertissement.

Valérie Gaudreau devant le mur jaune du bâtiment de la Charpente des fauves
« Ce qui me préoccupe, c’est la vitalité de la presse généraliste. Au Soleil, on est passés à travers avec l’abonnement payant, en enlevant le papier… On est à flot. Maintenant, le défi c’est de se maintenir. Ça tient à peu de choses… La fermeture d’un quotidien, les conservateurs au pouvoir, un coup de tranche à Radio-Canada et le paysage médiatique n’est plus le même. »

De nouveaux modèles

En plus de la création des coops de l’information, on a vu émerger dans les dernières années de nouveaux médias. Certains ont suivi un parcours de startup, soutenus par des programmes d’incubation-accélération. De plus en plus, des journalistes participent au lancement d’entreprises, aux décisions d’affaires, même dans des modèles de gestion collective. Leur code d’éthique s’adaptera-t-il à cette mouvance? « C’est une très, très bonne question », estime Valérie.

« S’il y a un propriétaire privé en arrière, il faut s’assurer de la neutralité. C’est difficile, mais en même temps, il faut tellement être créatif sur les modèles de financement! La publicité traditionnelle ne fonctionne pas. Nous, au Soleil, on participe aux décisions d’affaires, il y a un caractère collectif. On a une direction générale, évidemment. »

Aux yeux de Valérie, beaucoup de projets sont « hybrides ». Tout est alors dans la façon de se présenter, évalue-t-elle. « Je pense à Unpointcinq qui va faire un super travail, qui est clairement identifié aux changements climatiques… Beside, pour moi, c’est clairement du marketing de contenu, mais tellement dans une dynamique de journalisme. »

Valérie constate « une acceptation dans les salles de presse des contenus hybrides ». « Un cahier Zone au Soleil, comme on avait en fin de semaine sur les femmes et le génie… Il y a cinq ou six ans, c’était un grief assuré. »

En 2002 durant ses études, Valérie entendait parler des chaines spécialisées et de l’avènement d’Internet, qui laissaient entrevoir des offres nichées pour les consommateurs d’information. « C’est ce qu’on vit avec les algorithmes », illustre celle qui redoute un peu « la fin de l’espace commun ».

« Cette mémoire commune, pas dans un angle nationaliste, mais au sens de : qu’est-ce qui définit la culture, le référent culturel et informationnel qu’on va tous avoir? On a encore des émissions qui regroupent un million de personnes avec Tout le monde en parle, des spectacles… Est-ce qu’on aura des références communes devant l’éclatement, qui laisse un terrain fertile aux fake news, à la désinformation? Pour moi, tout ça est relié. »

La flamme…

À travers le temps et les mutations de son métier, la flamme de Valérie Gaudreau continue de briller. Quand on lui demande ce qui l’allume le plus aujourd’hui, la réponse est simple.

« Le sentiment d’être utile. Ça a l’air cliché, mais… On a besoin de plus en plus de presse traditionnelle généraliste objective. La polarisation de la société, au lieu de me déprimer, elle me stimule à faire plus. Oui, des fois, c’est décourageant. Mais la pandémie a fait que les gens se sont tournés vers nous. Le gouvernement nous qualifie de service essentiel.

Au quotidien, ce qui m’allume, c’est le travail d’équipe. C’est un travail exceptionnel. Cette idée que le matin, on n’a rien, et on fabrique chaque jour. Le caractère artisan. »

Quelle opportunité nouvelle aimerait-elle saisir? Cette question ramène d’abord Valérie à ses premières amours.

« Un jour, je veux retoucher au journalisme terrain. Mes implications externes y contribuent, inconsciemment. Je ne veux jamais arrêter de marcher dans Saint-Roch, de croiser le monde, de prendre l’autobus pour aller voir ma mère à Place Alexandra. La journée où je vais me sentir déconnectée de la rue, je vais faire autre chose. »

Après 20 années au rythme d’un quotidien, Valérie rêve d’un projet de longue haleine. Fan de radio, lectrice avide, mordue des balados et des documentaires télé, les idées ne lui manquent pas. Le temps, c’est autre chose. « Écrire une biographie, mais pas de moi! », lance-t-elle d’abord.

« Faire un documentaire… J’ai beaucoup pensé à Saint-Roch. En 1995, chaque samedi, je venais travailler, et ça avait sauté quelque part. C’était Chez Rita, au “Best Sellers”, au Roc Gym, à Limoilou… J’avais comme client à la caisse un gars qui s’est fait tirer en plein jour! Raconte ça aux jeunes aujourd’hui, qui viennent étudier au Saint-Henri! Ils n’ont aucune idée!

Il n’y a jamais eu de vrai documentaire sur toutes ces années de la guerre des motards dans Saint-Roch. Il faudrait faire ça à deux, Suzie, ça serait écoeurant! »

Les propos ont été édités pour la concision, la cohérence et l’expérience de lecture.

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