Au début des années 40, l’hôtel St-Roch est étroitement surveillé par la police des liqueurs. Deux décennies plus tard, ce sont plutôt des agents de la brigade de la moralité qui ont à l’œil cet établissement hôtelier, où certaines femmes offrent un « service de proximité ».
Hôtel St-Roch, Québec, à l’épreuve du « feu » 3 : Haute surveillance
Au début des années 40, l’hôtel St-Roch est étroitement surveillé par la police des liqueurs. Deux décennies plus tard, ce sont plutôt des agents de la brigade de la moralité qui ont à l’œil cet établissement hôtelier, où certaines femmes offrent un « service de proximité ».
La police des liqueurs
Le 6 juin 1939, vers 17 h 00, une descente de la police des liqueurs est effectuée dans quatre hôtels de la ville de Québec, dont le St-Roch, propriété du lieutenant-colonel Oscar Gilbert. Il s’agit de remettre à l’ordre les hôteliers qui ne respectent pas la Loi des liqueurs alcooliques récemment modifiée, et stipulant « que les hôteliers pourront vendre de la bière, du vin ou des spiritueux à leurs clients à la condition que ces derniers se fassent servir un repas d’une valeur d’au moins 35 cents et que ce repas soit consommé ». Après le départ des policiers, le propriétaire n’a plus que de l’eau à servir à ses clients, toutes ses boissons alcooliques ayant été saisies et son permis, confisqué.
« Inutile de dire que ces descentes ont causé de fortes surprises chez les clients nombreux qui se pressaient dans les grills des hôtels visités par la police. Il n’y a eu aucune arrestation. De nombreux curieux ont également assisté au déménagement du stock. Huit cents douzaines de bouteilles de bière ont été saisies dans un seul hôtel. C’est dire que la quantité de boisson actuellement entre les mains de la police est très considérable. Il fallut près d’une douzaine de lourds camions pour transporter toute cette marchandise. Les officiers de la police des liqueurs ont commencé ce matin à vérifier tout le stock aux entrepôts de la Régie. »[1]
Trois ans plus tard, la vente de liqueurs alcooliques vient à nouveau causer des ennuis au propriétaire de l’hôtel St-Roch. Le 12 septembre 1942, deux officiers de la Commission des liqueurs, Adrien Dussault et Léopold Beaulieu, se louent incognito une chambre à cet endroit, dans le but d’y tester son personnel. De leur chambre, ils réussissent à se procurer du garçon d’ascenseur et d’un chasseur en uniforme quelques bouteilles de bières et 10 onces de scotch.
Le 27 octobre suivant, le lieutenant-colonel Oscar Gilbert est condamné par le juge Thomas Tremblay à payer 50 $ et les frais pour vente de liqueurs alcooliques dans l’une des chambres de son hôtel, ce qui est strictement interdit par la loi. Au cours du procès, l’avocat de la défense avait soutenu que la Commission des liqueurs n’avait pas fait la preuve que son client, Oscar Gilbert, était réellement le propriétaire de l’hôtel St-Roch. Sans surprise, cette objection ne fut pas retenue par le juge[2].
Un gendre comme gérant
En janvier 1953, le lieutenant-colonel Oscar Gilbert ayant décidé de consacrer ses activités à ses journaux, Le Soleil et L’Événement-Journal, acquis cinq ans plus tôt, son gendre Éric Morissette, marié à Jacqueline Gilbert, est nommé président et gérant général de la compagnie Hôtel St-Roch Inc[3].
Celui-ci occupait depuis quelques années le poste de gérant de l’hôtel. Vers 1949, il avait alors pris la relève de son beau-frère, Jacques Waquant, époux de Yolande Gilbert.
La mort frappe encore
Peu de temps après sa nomination, comme si un mauvais sort avait été jeté à son établissement, Éric Morissette voit trois de ses employés mourir subitement, pendant trois années consécutives.
Le 18 septembre 1954, Gérard Roberge, assistant-gérant de l’hôtel St-Roch, décède à son domicile, au 288, rue des Pins Est, à l’âge de 40 ans[4]. Le 19 juin 1955, employé de l’hôtel depuis une dizaine d’années, Napoléon Thibodeau, âgé de 50 ans, rend l’âme à sa résidence, au 354, de la 2e Rue[5]. Le 25 septembre 1956, Adjutor Lachance, assistant-gérant de la taverne de l’hôtel St-Roch, décède également à sa résidence, au 861, rue Saint-François Est, à l’âge de 55 ans[6].
En 1957, les membres du personnel de l’hôtel St-Roch, dont Edgar Miville, gérant du grill (bar-salon), Égide Roy, commis de bar au grill, Laura Rousseau, serveuse, et Alfred Thibodeau, gérant de la taverne, devaient tous se demander : À qui le tour?
Ça racole dans le grill
De 1961 à 1965, ce n’est pas la mort qui s’invite à l’hôtel, mais des prostituées, plus précisément dans le grill de l’établissement, mieux connu sous le nom de « Café ou cabaret St-Jacques ». Avec la complicité de certains employés, ces « demoiselles » peuvent alors y exercer leur métier, mais sous la surveillance de la brigade de la moralité. Laquelle décide finalement de mettre fin à leurs activités, ou du moins de les ralentir, le 23 décembre 1965. Suivant cette opération policière, survenue la veille de Noël, le gérant de l’hôtel, Éric Morissette, le gérant du grill, Victor Baker, et deux préposés à la location de chambres, Jacques Blouin et Hector Beaulieu, sont accusés d’avoir permis que leur lieu de travail soit utilisé comme maison de débauche[7].
L’année suivante, lors du procès de Victor Baker, représenté par Me Guy Bertrand, des détectives de la brigade de la moralité rapportent à la cour que « l’hôtel est sous surveillance depuis plusieurs années et que, depuis 1961, il y a même une augmentation des activités, le nombre de prostituées qui s’y tiennent étant plus élevé qu’auparavant ». Selon l’inspecteur en charge de la moralité, Jean-Paul Goupil, « 70 % des prostituées condamnées à la Cour municipale venaient de l’hôtel St-Roch[8] ».
Tandis que ses employés sont reconnus coupables, Éric Morissette, qui a toujours nié sa culpabilité à l’acte d’accusation d’avoir permis sciemment que son hôtel ou une partie de celui-ci soit loué ou employé comme maison de débauche, semble s’en être mieux sorti. Il poursuivra les opérations de son établissement jusqu’à sa fermeture.
« Le juge établit qu’il existait une complicité entre Baker et les prostituées et qu’elle s’est particulièrement manifestée au moment où le propriétaire, informé de ce qui se passait dans son hôtel, a retenu les services de 2 constables de l’agence « Philipps» pour maintenir l’ordre dans le cabaret et expulser les racoleuses. Une délégation de 8 prostituées est allée se plaindre à Baker parce qu’elles n’étaient plus admises dans le cabaret. Ce dernier leur a répondu : “Moi, je n’ai plus d’affaire dans cela, c’est les Philipps qui ont le contrôle de l’affaire, c’est la décision du propriétaire” . »[9]
Le maire de béton
Le 3 décembre 1973, lors d’une séance du conseil municipal, le maire de Québec, Gilles Lamontagne, annonce que l’hôtel St-Roch sera finalement acquis par la Ville puis démoli « pour faire place à un édifice d’allure moderne qui abritera la future bibliothèque municipale ». Selon le maire Lamontagne, « le coût d’achat de l’hôtel et des bâtisses attenantes se chiffre à 250 000 $, tandis que la démolition représente une somme d’environ 150 000 $[10] ».
L’année suivante, lors de son 60e anniversaire, l’hôtel St-Roch est « célébré » à grands coups de pelles mécaniques. La location de chambres fera bientôt place à la location de livres.
Revoyez la première partie Un projet ambitieux et la seconde partie Un nouveau propriétaire de la série en trois volets Hôtel St-Roch, Québec, à l’épreuve du « feu ».
[1] L’Action catholique, Québec, 7 juin 1939, p. 3.
[2] L’Action catholique, Québec, 27 octobre 1942, p. 9.
[3] Le Soleil, Québec, 20 janvier 1953, p. 16.
[4] Le Soleil, Québec, 20 septembre 1954, p. 24.
[5] L’Action catholique, Québec, 20 juin 1955, p. 8.
[6] Le Soleil, Québec, 26 septembre 1956, p. 31.
[7] La Presse, Montréal, 27 septembre 1966, p. 11.
[8] L’Action, Québec, 12 mai 1966, p. 19.
[9] L’Action, Québec, 22 octobre 1966, p. 3.
[10] À Propos, Québec, 4 décembre 1973, p. 3.
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