Un contrat de recherche avec le collectif du Tropique, auteur de l’œuvre Dernier arrêt des Passages Insolites 2021, m’a amené à m’intéresser aux commerces de la rue Saint-Joseph Est entre 1950 et 1970. C’est ainsi que j’ai découvert l’existence de Markie Ltée, magasin de confection pour dames spécialisé dans les robes de mariée.
Samuel Marcovitch
De 1959 à 1977, on retrouvait au 837, rue Saint-Joseph Est – où se trouve aujourd’hui le restaurant Ogari San, voisin du Café Saint-Henri – un magasin de confection pour dames nommé Marquis Enr. Il est devenu plus tard Markie Ltée. Propriété de Samuel Marcovitch, alias Sam Marks et Marky Marks, ce commerce était administré par sa femme, Jeanne Malenfant. Fille de Louis-Alfred Malenfant et d’Alexina Morin, elle était native de Saint-Hubert, Rivière-du-Loup. De son côté, Samuel Marcovitch était le fils d’immigrants juifs arrivés à Montréal en 1906, Abraham Marcovitch et Fanny Epstein, originaires respectivement de Roumanie et de Lituanie.

Crédit photo: Coll. Sandra Marks, fille de Samuel Marks et de Jeanne Malenfant
Sur les traces de son père
En 1911, un an après l’obtention de sa citoyenneté canadienne, Abraham « Abe » Marcovitch, marchand, et son épouse Fanny, vendeuse, résident avec leurs trois jeunes enfants, Ellen, Anne et Samuel, au 935, rue Sainte-Catherine Est, Montréal[1]. Quatre ans plus tard, on retrouve cette famille sur la rue Rachel Est, au n° 391. Le paternel tient dans un local adjacent à sa résidence un magasin d’étoffes et de tissus. En 1927 et 1928, alors que son père exerce le métier de commis voyageur, Samuel Marcovitch, qui se fait dorénavant appeler Sam Marks, occupe le poste de gérant chez Poyaner Incorporée, magasin d’étoffes et de tissus situé au 1416, boulevard Saint-Laurent, Montréal[2].

Crédit photo: José Doré
Un nouveau gérant à Québec
En 1936, un nommé M. Marks, résidant à l’hôtel Château Champlain, face à la gare du Palais, est le nouveau gérant à Québec de la succursale de la Glassberg’s Limited. Ce magasin de soie et de lainage pour dames est situé au 197, rue Saint-Joseph, entre les rues de l’Église [du Parvis] et de la Couronne, dans un édifice appartenant à Maurice Pollack[3]. Abraham Glassberg, président de la Glassberg’s Limited, autrefois la Glassberg’s Silk House, possédait à Montréal, depuis plus de 10 ans, un magasin sis au 1410, boulevard Saint-Laurent, soit à quelques pas de l’ancien lieu de travail de Samuel Marcovitch, Poyaner Incorporée[4].
En décembre 1959, dans une annonce parue dans le journal Le Soleil, ce dernier, mieux connu à Québec sous le nom de Marky Marks, se dit gérant d’un magasin de confection sur la rue Saint-Joseph depuis 23 ans.

Crédit photo: Le Soleil, Québec, 23 septembre 1936, p. 6 (BAnQ numérique)
L’arrivée d’une championne canadienne
Le 19 décembre 1939, après avoir promis au curé qu’il allait élever ses enfants dans la religion catholique, Samuel Marcovitch, de confession juive, peut finalement unir sa destinée à Jeanne Malenfant. Le mariage a lieu à la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, mais plus précisément dans la sacristie, en raison de la décision de son occupant. Suivant le mariage mixte, ce couple respectera pour les années à venir l’entente suivante : la célébration de la messe de minuit à l’église et celle de la Pâque juive, à la synagogue[5].
En 1944, année du décès de sa mère, et en pleine Seconde Guerre mondiale[6], Samuel Marcovitch, alias Marky Marks, voit sa femme donner naissance à une petite fille, Sandra Marks. Il s'agit de la future championne canadienne de nage synchronisée (1961, 1963 et 1964) et médaillée de bronze aux Jeux panaméricains de São Paulo de 1963[7].

Crédit photo: L'Action, Québec, 29 décembre 1962, p. 10 (BAnQ numérique)
Départ de la Maison Dominion
Après avoir été, pendant quelques années, gérant de la Maison Dominion Inc., magasin de confection pour dames et hommes, située au 823-825, rue Saint-Joseph Est, dans l’actuel édifice du restaurant Chez Ashton, Samuel Marcovitch décide de démarrer sa propre entreprise avec l’aide de son épouse Jeanne[8].
En décembre 1959, dans l’édifice voisin de son ancien employeur, au 837, rue Saint-Joseph Est, un nouveau « magasin de confection pour dames et enfants, fourrures et vêtements de sport » voit le jour[9]. Pour souligner cet événement, plusieurs spéciaux d’ouverture sont alors offerts chez Marquis Enr, dont un manteau avec collet de vison japonais d’une valeur de 39,95 $ pour 24 $, et une jupe de sport pour seulement 2,95 $.

Crédit photo: Le Soleil, Québec, 2 décembre 1959, p. 27 (BAnQ numérique)
L’immeuble de Maurice Assh
Dans la nuit du 15 au 16 janvier 1963, lors d’un « froid sibérien », l’édifice abritant au rez-de-chaussée Marquis Enr. et le magasin de chaussures Eugène Dubois Inc., et aux étages supérieurs une maison de chambres connue sous le nom de Hôtel Matapédia, est complètement ravagé par un incendie[10]. Quelques heures après le sinistre, le corps d’un pensionnaire, Lucien Croteau, est retrouvé parmi les décombres[11]. Propriété de Maurice Assh, l’immeuble de trois étages sera rapidement reconstruit[12].
Le 31 octobre suivant, Samuel Marcovitch et Jeanne Malenfant procèdent à la grande ouverture de leur « nouveau et ultra-moderne magasin » devenu Confection Markie Ltée[13]. Ce couple a alors le plaisir de présenter à sa clientèle un assortiment de vêtements automne-hiver et un salon de la mariée[14].

Crédit photo: Le Soleil, Québec, 17 janvier 1963, p. 3 (BAnQ numérique)
L’hymen vient après l’amour, comme la fumée après la flamme
Le 5 novembre 1965, pour la deuxième fois en deux ans, un incendie éclate dans l’immeuble de Maurice Assh, sis au 837, rue Saint-Joseph Est. Heureusement pour ce propriétaire et ses locataires, seul le sous-sol est ravagé par le feu. Mais les dommages aux étages supérieurs sont tout de même considérables. Chez Confection Markie Ltée, plus de 60 000 $ de marchandise et de lingerie sont détériorées par l’eau et la fumée[15].
Les robes de mariée qui ont pu être sauvées durant les travaux de nettoyage sont vendues dans un petit local au bout, à l’ouest, de la rue Saint-Joseph. La location de celui-ci et tous les efforts déployés à éliminer l’odeur de fumée de la marchandise ont bien sûr engendré des frais supplémentaires aux propriétaires. Mais ils vont se relever les manches!

Crédit photo: Le Soleil, Québec, 30 octobre 1963, p. 37 (BAnQ numérique)
Spectacle de mode au Canal 4
Le 17 mars 1966, ils annoncent dans le journal Le Soleil la réouverture de Markie Ltée au 837, rue Saint-Joseph Est. Leur « collection printanière pour dames et demoiselles est présentée dans un nouveau décor plus spacieux et entièrement redécoré » et leur « salon de la mariée a conservé son cachet distingué et distinctif ». Dans cette publicité, Samuel Marcovitch et Jeanne Malenfant tiennent également à informer leur clientèle qu’ils ont un spectacle de mode diffusé au Canal 4 (CFCM-TV), chaque vendredi à 14 h 00. Ce spectacle est présenté lors de l’émission Féminité, laquelle était suivie à 14 h 30 par La Sieste et à 16 h 00 par Capitaine Bonhomme[16].
Coulé dans le béton
Au cours des années suivantes, la transformation de la rue Saint-Joseph Est en rue piétonne, de la rue Saint-Roch au boulevard Langelier, en 1967, les nombreuses expropriations du quartier Saint-Roch pour la construction des bretelles de l’autoroute Dufferin-Montmorency au début des années 1970 et la construction du Mail Saint-Roch de 1972 à 1974 – c'est-à-dire la « fermeture du tombeau » – n’aident en rien les finances de Confection Markie Ltée.
Le 6 mars 1977, Samuel Marcovitch, qui venait de réhypothéquer sa maison, meurt d’une crise cardiaque[17]. Suivant son décès, son épouse décide de liquider les biens de l’entreprise[18].

Crédit photo: Coll. Sandra Marks, fille de Samuel Marks et de Jeanne Malenfant
Souvenirs de Sandra Marks
Selon Sandra Marks, son père qui ne voulait pas qu’une cliente reparte les mains vides, n’ayant pas trouvé un vêtement à sa taille, achetait, par conséquent, plusieurs robes de toutes les grandeurs, et cela, sans égard au budget de son entreprise. Sa clientèle provenait principalement de l’extérieur, de la campagne. Celle-ci venait chez Confection Markie Ltée pour y acheter une robe de mariée. Derrière leur comptoir-caisse, Samuel Marcovitch et Jeanne Malenfant prenaient soin d’y exposer les photos de mariage de leurs clientes.

Crédit photo: Coll. Sandra Marks, fille de Samuel Marks et de Jeanne Malenfant
Merci à madame Sandra Marks pour sa gentillesse et les souvenirs qu’elle a bien voulu partager avec moi. Espérons qu’elle soit bientôt intronisée au Temple de la renommée du Panthéon des sports du Québec[19]. Malgré ses succès exceptionnels, elle n’a toujours pas reçu cet honneur! Qu’attendons-nous?

Crédit photo: L'Action, Québec, 6 mai 1963, p. 11 (BAnQ numérique)
[1] BAC (Bibliothèque et Archives Canada), Documents de l'enregistrement de la citoyenneté, 1851-1945, Cour de circuit de Montréal, RG 6 F3 ; Recensement du Canada de 1911, RG31.
[2] Annuaire de Montréal, 1927, p. 1193 et 1195.
[3] Annuaire de Québec, 1936, p. 197 et 372 ; Le Soleil, Québec, 29 janvier 1936, p. 3.
[4] La Presse, Montréal, 23 avril 1937, p. 13 ; Le Soleil, Québec, 1er juin 1934, p. 6.
[5] Entretien téléphonique avec Sandra Marks, fille de Sam Marks et Jeanne Malenfant, le 15 juin 2021.
[6] Au printemps 1944 et 1945, afin d’aider le Canada à augmenter les effectifs de son armée, à développer et entretenir sa machine de guerre, Marky Marks va souscrire en tout la somme de 300$ à la campagne d’emprunt de la Victoire. Le Soleil, Québec, 8 mai 1944, p. 6 et 1er mai 1945, p. 2.
[7] L'Action catholique, Québec, 10 avril 1961, p. 14 ; Le Soleil, Québec, 9 mars 1963, p. 25 ; L'Action, Québec, 4 mai 1963, p. 13 et 7 avril 1964, p. 14.
[8] Annuaire de Québec, 1956, p. 817 ; 1957, p. 714 ; 1958, p. 578.
[9] Le Soleil, Québec, 2 décembre 1959, p. 27.
[10] L'Action, Québec, 16 janvier 1963, p. 2.
[11] Le Soleil, Québec, 17 janvier 1963, p. 3.
[12] Le Soleil, Québec, 16 janvier 1963, p. 20.
[13] Gazette officielle de Québec, 10 août 1963, p. 3736.
[14] Le Soleil, Québec, 30 octobre 1963, p. 37.
[15] Le Soleil, Québec, 8 novembre 1965, p. 18.
[16] Le Soleil, Québec, 17 mars 1966, p. 12 et 39.
[17] Le Soleil, Québec, 8 mars 1977, p. D-14.
[18] Le Soleil, Québec, 20 août 1977, p. C-14.