En rencontrant Karl-Emmanuel Picard pour parler, au-delà de sa programmation webdiffusée, de la réalité de maintenir en parallèle un bar spectacles fermé, je m’attendais à un pronostic plus ou moins optimiste. J’ai été surprise.
L’Anti, un studio pour trois ans?
En rencontrant Karl-Emmanuel Picard pour parler, au-delà de sa programmation webdiffusée, de la réalité de maintenir en parallèle un bar spectacles fermé, je m’attendais à un pronostic plus ou moins optimiste. J’ai été surprise.
D’emblée, le producteur de L’Anti et District 7 m’a rappelé comment tout a débuté avec le premier spectacle le 9 mai : « C’était au Saguenay–Lac Saint-Jean. Je ne pouvais pas y aller, l’artiste ne pouvait pas venir à Québec non plus. […] J’étais chez nous et je contrôlais tout à distance. Et au départ on pensait vendre 100 billets. On en a vendu 900. » Puis il y a eu Rick Pagano et Mononc Serge.
« Mon plan c’était de les faire au bar ici. J’ai vérifié avec la police, ils ont dit qu’il ne devrait pas y avoir de problème… Finalement, il y avait un problème. Il a fallu que je les fasse chez Solotech. […] Le matin, j’ai eu une autorisation qui me permettait de le faire ici, parce que ce n’est plus vraiment un bar, c’est fermé. […] Les 37 autres spectacles virtuels qu’on a faits étaient ici. […] Le monde m’a supporté. Pour le premier show, s’il n’y avait pas eu 900 billets vendus, si ça avait été un flop, je ne sais pas à quel point j’en aurais fait d’autres. »
Quand on lui demandait pourquoi persister après le déconfinement, celui qui devait travailler dans une ferme pour l’été répondait : « Je pense que ça [la propagation du coronavirus] va revenir, ça va être plus fort. » Aujourd’hui, il ajoute : « Si j’avais tout enlevé mon setup pour faire rentrer dix clients dans le bar, ça aurait été comme impossible de recommencer. »
Réagir vite, en attendant
Comme sa lancée sur le web avec la plateforme de lepointdevente.com a fait parler d’elle dès le printemps, les demandes ont vite afflué vers Karl-Emmanuel Picard.
« Le 10 octobre, j’étais supposé aller faire un mariage virtuel à Montréal, des gens en présentiel dans la salle et des gens de partout dans le monde allaient assister au mariage. Finalement, ça a été annulé parce que c’est tombé en zone rouge. J’étais supposé aussi faire des trucs avec le théâtre Premier Acte. Ça va être reporté à plus tard. »
Des conférences de presse d’envergure avec « des trucs pré-tournés et des trucs en direct » se dévoileront prochainement. Le lendemain de notre entrevue avait lieu une captation en Beauce pour un spectacle virtuel diffusé aux classes scolaires de Thetford Mines.
« C’est quand même complexe de trouver tout l’équipement et l’expertise pour faire la diffusion, puis nous, ça a l’air qu’on le fait quand même bien. On n’est pas à l’abri des problèmes. Quand il y a des problèmes, il faut que tu réagisses assez vite. »
Des employés du bar spectacles font partie de l’équipe des spectacles virtuels. « J’étais submergé quand il y avait de shows virtuels et les gens ne savaient pas où aller; maintenant Tanya, qui travaillait au bar, s’occupe de l’accueil virtuel », illustre Picard. « L’Anti par la bande devient un studio vidéo, de captation. […] La source de revenus, ce n’est plus la vente d’alcool, les vestiaires, frais de guichet. »
Pour l’acquisition d’équipements, il a eu accès aux aides financières mises en place. D’après ses prévisions, il pourra couvrir les frais pour conserver le lieu physique en attendant la réouverture. À quand l’estime-t-il?
« Je ne veux pas rouvrir L’Anti avec 15 clients dans le bar. Je veux ouvrir l’anti comme c’était avant… Je pense que la vie va revenir à la normale, comme avant, disons en trois ans à partir du mois de mars (2020). »
Un « projet structurant »
À ceux qui trouvent les spectacles virtuels peu intéressants, Karl Emmanuel Picard rétorque : « Ça encourage les artistes, les techniciens, tout le monde; faut juste se mettre dans la tête que c’est mieux que rien pantoute. Sur YouTube, aucun revenu ne revient à personne… »
Pour que « les gens à la maison aient autant de plaisir, que ce ne soit pas juste de la captation », la caméra a suivi Mononc Serge à la chambre froide où il allait chercher une bière avant son spectacle. Les gens ont payé à distance des shooters à Dany Placard, qu’on lui a apportés. Il a signé un poster pour la petite fille d’une famille de Port-Cartier qui « à 800 km, avant la pandémie, n’avait aucune idée c’était quoi L’Anti ». Un spectateur de la Gaspésie a vu tous les shows et fait connaissance par clavardage avec Karl-Emmanuel, qui l’a invité à voir Anonymous à Québec, en lui payant l’hôtel.
En plus des musiciens d’ici, deux groupes de Toronto, un de Calgary se sont déplacés au studio de L’Anti pour leur spectacle webdiffusé.
« Je suis en discussion avec des gens en France, aux États-Unis, pour essayer de faire des shows virtuels [qui seraient venus] en tournées ici. Je ferais la captation là-bas pour mettre en marché pour des fans en Amérique du Nord. Il y a vraiment un potentiel incroyable. […] C’est un projet structurant, on est en train de bâtir de quoi, je fais des conférences virtuelles dans les écoles pour parler de ça », s’enthousiasme le producteur.
D’ici la fin de l’année, une trentaine de spectacles figurent à son calendrier. Ils sont variés : Maggots (21 novembre), The Planet Smashers (11 décembre), Marco Calliari (17 décembre), Double Date with Death (9 janvier), Sandveiss (23 janvier)… Le père de deux jeunes enfants poursuit sa tradition des Fêtes en présentant en après-midi les Petites tounes le 20 décembre, précédées de Caillou « 100 % virtuel » le 13 décembre à L’Impérial. Le Rêve du Diable (23 décembre) et Les Chauffeurs à pieds (28 décembre) sont aussi au programme des fêtes. Ces prochaines années, il prévoit des spectacles hybrides, en virtuel et en salle, dans d’autres lieux aussi.
Défis
Pour Karl-Emmanuel Picard, le plus grand défi est peut-être en fait « le foutu virus ».
« Mon grand-père est mort de ça, je connais de plus en plus de gens qui l’ont eu et qui après plusieurs mois ont encore des symptômes. […] Maintenant chaque fois qu’on fait un tournage, il y a quelqu’un qui était en contact avec quelqu’un qui avait la COVID-19, s’est fait tester et a le résultat une demi-heure avant d’arriver. Il faut vraiment être prudent pour ne pas que ça rentre ici. »
Un autre de ses défis, avec les webdiffusions à promouvoir auprès d’audiences dispersées sur la planète, c’est d’être « visible plus loin ». Or « l’argent se fait rare » pour la publicité, conclut celui qui avait l’habitude de miser sur les médias locaux pour ses productions en salle.
Pour en savoir plus ...
251, rue Dorchester, Québec (Québec), G1K 5Z9
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