Saint-Roch et la Saint-Jean-Baptiste

Le 24 juin 1842, après quelques années d’interruption en raison de la rébellion des patriotes, la fête nationale des Canadiens français - la Saint-Jean-Baptiste - est à nouveau célébrée au Québec, et plus précisément à Québec, grâce à l’initiative d’un résident de Saint-Roch, le docteur Pierre-Martial Bardy, de la rue Fleurie.

Saint-Roch et la Saint-Jean-Baptiste | 23 juin 2019 | Article par José Doré

Quartier Saint-Roch – Rue du Pont – Parade de la Saint-Jean-Baptiste (1889)

Crédit photo: BAnQ, Québec, P600,S6,D1,P752

Le 24 juin 1842, après quelques années d’interruption en raison de la rébellion des patriotes, la fête nationale des Canadiens français – la Saint-Jean-Baptiste – est à nouveau célébrée au Québec, et plus précisément à Québec, grâce à l’initiative d’un résident de Saint-Roch, le docteur Pierre-Martial Bardy, de la rue Fleurie.

La Saint-Jean-Baptiste, fête « patriotique »

Tricolore canadien ou drapeau des patriotes
Crédit photo: Wikimedia Commons

Fondée à Montréal en 1834 par Ludger Duvernay, imprimeur et propriétaire de la Minerve, la fête nationale des Canadiens français, célébrée le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste, a pour but, selon son fondateur, de « cimenter l’union entre les Canadiens[1] ». Instituée par un patriote et ayant comme drapeau officiel celui des patriotes, cette fête a toutefois pour véritable but, assurément, d’attirer de nouveaux fidèles sous le tricolore à trois bandes horizontales, verte, blanche et rouge. Le 24 juin 1834, la fête patronale des « Jean-Baptiste », surnom donné aux Canadiens français[2], est donc célébrée pour la première fois à Montréal lors d’un banquet auquel assistent de nombreux notables réformistes d’origine canadienne, irlandaise[3] et américaine[4].

Manifestation et rébellion

Trois ans plus tard, à quelques jours seulement de la Saint-Jean-Baptiste, des citoyens de Québec forment un comité afin de prendre des arrangements pour célébrer à leur tour leur fête patronale. Mais, en raison, entre autres, de la division politique au sein même du Parti patriote entre modérés et radicaux, on décide de reporter les célébrations à une année ultérieure où les Canadiens « [seront] peut-être plus heureux, plus unis[5] ». Le 19 juin 1837, le secrétaire du comité organisateur, Joseph Laurin, étudiant en droit, auteur et agent du Libéral, journal des patriotes radicaux de la capitale[6], annonce dans le Canadien que la célébration de la fête nationale doit être remise pour des « considérations particulières[7] ». En novembre suivant s’amorcent la rébellion des patriotes et les arrestations politiques.

Napoléon Aubin, rédacteur du Fantasque, en 1875
Crédit photo: BAnQ Collection numérique

La Saint-Jean dans tous ses « États »

De 1839 à 1841, la Saint-Jean-Baptiste semble n’avoir été célébrée que par des patriotes canadiens réfugiés aux États-Unis, tels que Ludger Duvernay à Burlington, Vermont[8]. Pendant ce temps, à Québec, le 24 juin, on ne fait que porter à la boutonnière l’emblème des Canadiens français, la feuille d’érable[9]. Mais, en 1842, à la suite de l’union récente des Canadas, qui fait craindre l’assimilation aux Canadiens français, et dans la foulée du retour au pays de quelques patriotes qui ne sont plus ennuyés par la justice alors que le climat politique est désormais plus sain, des résidents de Québec sentent le besoin de célébrer la Saint-Jean-Baptiste.

C’est reparti avec Bardy!

Le Dr Bardy, fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, en 1842
Crédit photo: BAnQ, Collection numérique

Le 16 juin 1842, le rédacteur du Fantasque, Napoléon Aubin, publie dans son journal une annonce priant « [les] personnes qui seraient disposées à célébrer la Saint-Jean-Baptiste » à envoyer leur nom immédiatement à son bureau. Il précise par la suite que « [si] samedi prochain [le 18] à midi le nombre de signatures était suffisant, une assemblée serait convoquée pour se consulter sur les arrangements nécessaires[10] ». Le 19 juin, à la porte de l’église Saint-Roch, à la sortie de la messe, on distribue aux paroissiens des circulaires les invitant à se diriger à l’Hôtel de tempérance de Saint-Roch, propriété d’Étienne Maheux, à l’angle des rues Saint-Roch et Sainte-Marguerite, pour y discuter de la célébration de la Saint-Jean-Baptiste et de la création d’une « Société nationale canadienne ». À la suite de la présentation du but de l’assemblée par le docteur Pierre-Martial Bardy, il est proposé : « Qu’afin de consolider de plus en plus les liens qui doivent unir entre eux les Canadiens de toutes les classes sous une même [bannière] nationale, il est désirable et même nécessaire de former une association pour célébrer la fête de la [Saint-Jean-Baptiste], patron adoptif des Canadiens, et que cette association prenne dès ce jour le nom de Société de [Saint-Jean-Baptiste]. » En raison de leur implication, le docteur Pierre-Martial Bardy et le rédacteur Napoléon Aubin sont ensuite respectivement nommés président et vice-président de cette nouvelle société[11].

Le tricolore canadien comme drapeau national

Le 24 juin 1842, un an avant la reprise des célébrations à Montréal, la Saint-Jean-Baptiste est célébrée à Québec par une messe à la cathédrale Notre-Dame, suivie d’un défilé qui se rendit, par la rue des Fossés [boulevard Charest], jusqu’à l’Hôtel de Maheux, puis d’un banquet. Dans les jours suivants, certains critiquent le choix du drapeau national des Canadiens français, soit l’ancien drapeau des patriotes[12]. On leur répond alors que les couleurs[13] expriment plutôt les vertus fondamentales de la sainte religion : le vert pour l’espérance, le blanc pour la foi, et le rouge pour la charité[14]. En toute « bonne foi », je pense qu’il s’agit ici d’un compromis ou subterfuge des membres libéraux, d’anciens patriotes, de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec.

« En 1977, le gouvernement dirigé par René Lévesque proclame le 24 juin jour de la fête nationale du Québec. Cette journée sera désormais fériée et chômée et surtout, elle sera la fête de toutes les personnes habitant le Québec. Ce faisant, le 24 juin n’est plus associé exclusivement aux personnes pratiquant la religion catholique, mais revêt un aspect ouvert et laïque. »

[1] Le mot « Canadiens » désigne les Canadiens d’origine française.

[2] L’Ami du peuple, de l’ordre et des lois, Montréal, 5 juillet 1834, p. 2 ; La Canadienne, Montréal, 15 juin 1840, p. 2.

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[3] Le chef patriote Edmund Bailey O’Callaghan, d’origine irlandaise, était l’un des convives.

[4] La Minerve, Montréal, 26 juin 1837, p. 2-3.

[5] Le Canadien, Québec, 19 juin 1837, p. 3.

[6] Le Libéral, Québec, 21 juin 1837, p. 1.

[7] Le Canadien, 19 juin 1837, p. 3.

[8] North American, Swanton (Vermont), 3 juillet 1839, p. 50 ; La Canadienne, Montréal, 30 juin 1840, p. 2-3.

[9] Le Fantasque, Québec, 28 juin 1839, p. 31.

[10] Ibid., 16 juin 1842, p. 3.

[11] Ibid., 23 juin 1842, p. 3.

[12] Le Canadien, 27 juin 1842, p. 2.

[13] Selon toute vraisemblance, ces couleurs représentaient à l’origine les Irlandais (vert), les Canadiens (blanc) et les Britanniques (rouge).

[14] Le docteur Pierre Martial Bardy : sa vie, ses œuvres et sa mémoire, compilation par l’abbé F. X. Burque, Québec, 1907, p. 11, 14, 215, 241-242 et 296.

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