<em>Le Soleil</em> et deux solitudes dans mon quartier | 21 août 2019 | Article par Suzie Genest

Crédit photo: Collection Jocelyn Paquet

Le Soleil et deux solitudes dans mon quartier

Le Soleil fait partie de mes premiers souvenirs d’enfance, de famille, de quartier.

À l’époque où j’ai grandi à Saint-Roch, Le Soleil donnait son nom à l’édifice devant l’ascenseur du Faubourg (croqué en 1971 sur la photo). Ses travailleurs faisaient partie de la vie, du tissu du quartier. Robert Fleury, ancien journaliste du quotidien, l’évoquait dans ses souvenirs publiés sur Monsaintroch en décembre 2016 et janvier 2017. Mon père servait certains de ses collègues à la taverne de mon arrière-grand-père, l’El Dorado.

Mes parents n’étaient pas très portés sur les traditions ni très bouquineurs, mais Le Soleil, auquel ils étaient abonnés, représentait pour eux un rituel. Même que les samedis matins, ma mère lisait tous « ses Soleil » lorsque le temps lui avait manqué durant la semaine.

Quand le quotidien est revenu sur Charest Est, la revitalisation de Saint-Roch battait son plein. Bon nombre d’acteurs du numérique y participaient, faisant la manchette du journal. Aux premières loges de l’actualité locale et hyperlocale, le média régional n’a jamais manqué de la mettre en lumière. Ses articles, d’ailleurs, alimentaient les revues de presse publiées dans les premières années de nos « Mon ».

Nos médias hyperlocaux – ces bibittes émergées de portails web de quartier qui les ont précédées et qui génèrent les revenus alimentant leur budget de rédaction – sont un peu ses enfants, plus ou moins illégitimes, selon les avis. Bref, je n’imagine pas mon paysage, ma vie à Québec, mon quartier sans Le Soleil.

Lecture, fractures et confusion

En plus du détournement des revenus publicitaires, les médias d’information écopent d’autres conséquences de l’idéalisation des géants du web. Mickaël Bergeron l’évoque dans  « L’information, ce n’est pas pour faire plaisir » :

Publicité

« Même les personnes qui pensent ne pas consulter les médias en disant s’informer via Twitter ou Facebook ne se rendent juste pas compte, souvent, qu’elles cliquent sur des liens qui mènent vers des médias d’information. Ou que le vidéo en streaming a été produit par un média. Ce n’est pas Facebook qui les informe. Facebook ne produit aucune info. Zéro. »

J’ai vu des abonnés aux pages Facebook des médias convaincus que l’intégralité des articles se trouvait dans la publication et l’aperçu (titre, image, début d’accroche). Et d’autres croire, parce qu’une critique d’une exposition citait certains artistes plutôt que d’autres, qu’il s’agissait d’une publicité. Il y a ceux, aussi, qui crient « vendu » dès qu’ils imaginent un lien entre une phrase d’un éditorialiste et un placement publicitaire dans l’autre cahier… Fractures numériques, élans conspirationnistes, confusion des genres? Chose certaine, si le lectorat est nombreux, des défis d’éducation, de médiation médiatique, se posent. François Bourque l’évoquait hier :

« Il faudrait il me semble réussir à mobiliser ces lecteurs. Mieux expliquer qu’il y a un coût à produire de l’information fiable et pertinente au débat public. »

Deux solitudes?

Sans doute les défis de médiation s’étendent-ils au milieu numérique. Les médias n’ont qu’à changer de modèle d’affaires, y clame-t-on – souvent avec une pointe de condescendance, rarement en mesurant la difficulté de concilier indépendance de l’information et éthique journalistique avec les pratiques de marketing. Déplorer qu’un média n’ait pas un gestionnaire de communauté – payé plus cher que les journalistes – pour modérer jour et nuit les commentaires sur sa page Facebook, c’est passer à côté du coeur de sa réalité.

Dans une discussion virtuelle hier, des professionnels des médias sociaux et du web, qui font des placements chez les Facebook, Google et cie, s’exprimaient sur la crise des médias. Belle occasion, pour moi qui n’arbore ni l’étiquette de journaliste ni celle de numérique, de me sentir assise, pas toujours confortablement, entre deux solitudes… Mariève Paradis, auparavant de Planète F Magazine, a lu dans mes pensées :

« Pour avoir été éditrice, l’enjeu que je trouvais le plus difficile était de convaincre les annonceurs de mettre de la pub web avec des super package numérique 360 […] SANS INTERFÉRER DANS LE CONTENU… Si les médias ne comprennent pas les packages numériques, les annonceurs ne comprennent pas que les médias ne sont pas des hommes sandwich de publicité DANS LE CONTENU. Non je mettrai pas un lien affilié dans mon article. Non je ne proposerai pas telle crème sur mes réseaux sociaux sans que ça soit identifié comme de la pub. Je pense qu’on a vraiment une réflexion commune à avoir entre les éditeurs de médias et les publicitaires/ annonceurs pour mieux comprendre le rôle de chacun. »

Rappelons-nous l’époque Saint-Roch technoculture, où on s’efforçait d’asseoir à la même table la communauté des arts et celle des techno, deux apparentes solitudes… Et tous les événements, hackathons et autres Muséomix issus de leur collaboration. L’avenir de l’information ne mériterait-il pas au moins autant de collaboration?