Lorsqu’on s’intéresse au passé, on ne voit plus les rues de la même façon. Les lieux et les bâtiments ont tous une histoire à raconter!
Chez Jos et Roméo
Lorsqu’on s’intéresse au passé, on ne voit plus les rues de la même façon. Les lieux et les bâtiments ont tous une histoire à raconter!
Souvenirs de Berthe Ampleman (1924-1984)
En 2010, grâce à la générosité de Mario Gaumond, j’ai pu numériser les photos de sa défunte mère, Berthe Ampleman, épouse de feu Louis-Philippe Gaumond. Parmi les souvenirs de la sœur de ma grand-mère maternelle, il y a une magnifique photo d’un homme posant fièrement à côté de sa voiture. Malheureusement, au verso de celle-ci, il n’y a aucune note manuscrite. Qui est donc cet homme? Quelle est cette rue? Et en quelle année sommes-nous?
Afin de trouver réponse à ces questions, je me suis alors mis à la recherche d’indices tels un nom de commerce ou un édifice public. Et vous, en voyez-vous, des indices?
Chevrolet Master Deluxe
La première chose qui m’a sauté aux yeux est la voiture, une Chevrolet Master Deluxe 1937. Celle-ci est stationnée près d’un commerce ayant pour nom Chez Jos. Au bout de la rue, en haut de l’image, on aperçoit le clocher de l’église Saint-Matthew et à sa gauche, les édifices parlementaires Jean-Antoine-Panet et André-Laurendeau, construits respectivement en 1931-1932 et 1934-1936. Que faire maintenant avec ces infos? Chercher le resto Chez Jos dans les annuaires de Québec à compter de 1937[1].
Chez Jos
Que disent alors les annuaires? De 1942 à 1947, on retrouve au 168 rue du Pont[2], entre les rues du Prince-Édouard et de la Reine, le comptoir lunch Chez Jos, propriété de Joseph-George Townsley. Ce restaurateur, marié à Alice Lortie, était un grand joueur de billard et vraisemblablement de cartes[3]. En 1932, il représente la ville de Québec au championnat de snooker du Canada à Montréal[4].
Six ans plus tard, un juge de la Cour des sessions de la paix le condamne à 10$ d’amende pour avoir tenu une maison de jeu au 168 rue du Pont, dans l’édifice du Café Fleurette, propriété de Donat Couture[5]. Visiblement, Joseph-George Townsley aimait « brasser » des affaires à cette adresse! À propos de celui-ci, il est peut-être l’un des deux hommes que l’on aperçoit à travers le pare-brise de la Chevrolet, à l’entrée du comptoir lunch, près de l’enseigne « Entrez et buvez un Coca-Cola ».
Chez Roméo
Si on revient à la photo, on aperçoit à quelques mètres de Chez Jos, en direction de la rue de la Reine, un autre restaurant, celui de Roméo L’Écuyer, propriétaire de Chez Roméo[6]. Selon les enseignes de ce commerce, on y vendait entre autres de la crème glacée, du Coca-Cola, des hot-dogs et probablement du « tabac à cigarettes mélangé Winchester[7] ».
Tout comme son voisin restaurateur, Roméo L’Écuyer eut également des ennuis avec la justice. Le 7 octobre 1942, dans la cause l’opposant à la Commission des liqueurs, il est reconnu coupable de vente illégale de boisson dans son établissement et condamné à payer « 50$ d’amende et aux frais ou à un mois de prison[8] ». Lors de son procès, la défense avait pourtant démontré que les bières avaient été vendues en dehors de sa connaissance dans ses appartements privés, situés au-dessus de son restaurant, où « l’accusé permettait à ses amis d’aller jouer aux cartes[9] ».
Épicerie Jos. Guy
Dans les années 1940, les résidents de Saint-Roch ne font pas que jouer à l’argent en buvant un Coca-Cola ou une bière Boswell en cachette, ils font aussi leur épicerie chez Jos. Guy, à l’angle des rues de la Reine et du Pont, dans l’édifice que l’on distingue sur la photo par son revêtement de pierre de taille, son chaînage d’angle, sa corniche et sa marquise foncée[10].
Contrairement aux édifices abritant les restaurants des messieurs Townsley et L’Écuyer, celui de Jos. Guy a heureusement été préservé. Construit en 1844, ce bâtiment est l’une des maisons les plus anciennes de Saint-Roch[11]. C’est en 1937 que l’épicerie de Joseph Guy s’y installe. Elle y restera pendant plus de quarante ans[12]!
Et l’homme sur la photo?
En conclusion, je n’ai pu identifier l’homme sur la photo. Est-ce un résident de la rue du Pont ou un joueur de cartes? Une chose est certaine, celui-ci n’avait pas remarqué la présence d’une note ou d’une contravention sous son essuie-glace !
[1] BAnQ, Collection numérique, Annuaires Marcotte, http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/marcotte
[2] Ce commerce se trouverait aujourd’hui près du 285, rue du Pont.
[3] Le Soleil, Québec, 3 février 1966, p. 41.
[4] Le Soleil, 27 janvier 1932, p. 14.
[5] Le Soleil, 25 juillet 1938, p. 6.
[6] Chez Roméo était situé près de l’actuel 289, rue du Pont.
[7] Le Soleil, 9 janvier 1942, p. 3.
[8] L’Action catholique, Québec, 7 octobre 1942, p. 9.
[9] Le Canada, Montréal, 13 octobre 1942, p. 7.
[10] La marquise verte foncée est toujours présente sur la façade de l’édifice.
[11] Ville de Québec, Fiche d’un bâtiment patrimonial, 305 à 307 rue du Pont. https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/bati/index.aspx
[12] On retrouve présentement au rez-de-chaussée du 305 rue du Pont le salon de coiffure La Chimiste par Joany.
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