Le 10 septembre dernier était la journée mondiale de la prévention du suicide. Un mois auparavant, je publiais un billet sur les noyades accidentelles de la rivière Saint-Charles, « Le chant des sirènes ». Puisque le sujet était déjà assez lourd, j’avais décidé de ne pas réveiller les morts qui y avaient mis fin à leurs jours tels Jean-François Nopper en 1820 et Charles Cyprien en 1887.
Le chapeau du pont Dorchester
Le 10 septembre dernier était la journée mondiale de la prévention du suicide. Un mois auparavant, je publiais un billet sur les noyades accidentelles de la rivière Saint-Charles, « Le chant des sirènes ». Puisque le sujet était déjà assez lourd, j’avais décidé de ne pas réveiller les morts qui y avaient mis fin à leurs jours tels Jean-François Nopper en 1820 et Charles Cyprien en 1887.
Ins Wasser fallen
Le 30 septembre 1819, Franz Nopper, alias Jean-François Nopper, âgé de 67 ans, est reconnu coupable de parjure et condamné à six mois de prison ainsi qu’à une heure de pilori, le vendredi 8 octobre suivant, à la place du marché de la Haute-Ville[1]. Le 20 mars 1820, ayant purgé sa peine, cet ancien soldat allemand, natif de Stutgard, venu au Canada lors de la Guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783) afin de prêter main forte à l’armée britannique, retrouve sa liberté, sa femme Françoise Picard Destroismaisons et ses enfants[2]. Près de deux mois plus tard, incapable de se trancher la gorge avec un rasoir, il décide alors de se jeter dans la rivière Saint-Charles[3].
Le 13 mai 1820, au lendemain de son suicide[4], une enquête menée par le coroner Henry Blackstone fait ressortir que le malheureux était mentalement troublé depuis son incarcération et sa mise au pilori[5].
Un homme à l’eau!
Le vendredi 17 juin 1887, vers 19 h 30, Cyprien Charles, alias Charles Cyprien, âgé de 45 ans, fabriquant de conserves alimentaires de la rue Bayard, quartier Saint-Sauveur, se dirige sur le pont Dorchester où il s’immobilise, retire son chapeau, fait sur lui le signe de la croix et se jette à l’eau[6].
Témoin de ce geste désespéré, Arthur McCorkell, fils du boulanger James McCorkell de la rue Saint-Joseph, se rend à toute vitesse sur l’estacade au nord du pont, se dévêt d’une partie de ses vêtements et se jette à l’eau. S’étant enfoncé dans la vase en sautant, le jeune sauveteur voit soudainement le défunt passer à six pieds de lui. N’arrivant à pas bouger, il demande alors à Cyprien de venir en sa direction. Mais celui-ci, qui a décidé d’en finir, ne lui répond pas et se dirige plutôt dans une direction opposée. Après avoir nagé un bon quart d’heure, le défunt cale pour une quatrième et dernière fois[7].
Trois jours plus tard, le journal La Justice de Québec rapporte au sujet de Cyprien Charles qu’il était « natif de France et demeurait au Canada depuis une vingtaine d’années. Il était veuf et il disait que sa femme s’était noyée en France pendant que lui était à Kamouraska, où il avait fondé un établissement pour la préparation des conserves alimentaires[8]. » Le lendemain, dans le cadre de l’enquête au sujet du suicide de son beau-frère, Joseph Freslon, veuf de Marie-Valentine Charles, décédée l’année précédente à l’âge de 39 ans[9], déclare que le défunt a eu beaucoup de malheur, qu’il faisait depuis un certain temps un fort usage de boissons alcooliques, mais que sobre, il était très sensé. Également interrogée, la cuisinière du noyé, Madame Délima Grenier, épouse de James Carley, de la rue Sainte-Monique, quartier Saint-Sauveur, mentionne, quant à elle, avoir cru entendre pleurer Charles Cyprien le matin de son suicide.
« Je connais le défunt, j’ai toujours été sa cuisinière pendant 20 ans. Il avait pris son diner seul. Après son diner, le défunt est traversé à Lévis pour collecter de l’argent. Je lui ai prêté 25 centins pour payer son passage. Avant de partir le défunt m’avait dit de préparer son souper et me dit de fermer la boutique à 7 hrs […] Le vendredi matin, j’ai cru que le défunt pleurait. Je lui en fis la remarque, sur ce, il me répondit, que c’était l’effet d’un rhume[10]. »
Le chapeau du pont Dorchester
Aujourd’hui, lorsque je passe sur le pont Dorchester, j’ai inévitablement une pensée pour Cyprien Charles. Puisque celui-ci y a laissé son chapeau avant de s’enlever la vie, nous devrions en placer un en métal sur le garde, réalisé par un artiste, afin de rappeler à ceux et celles qui ont des pensées suicidaires qu’ils peuvent obtenir de l’aide en téléphonant à 1-866-APPELLE. Ce n’est pas dans l’eau de la Saint-Charles qu’on y voit plus clair. C’est en parlant!
À lire aussi :
[1] Le Canadien, Québec, 12 octobre 1819, p. 3.
[2] BAnQ, Collection numérique, Base de données, Personnes incarcérées dans les prisons de Québec, 1813-1907, 1914.
[3] Le Canadien, Québec, 17 mai 1820, p. 8.
[4] BAnQ, Collection numérique, Registre de l’église Notre-Dame, Québec, 13 mai 1820, folio 86.
[5] BAnQ, Collection numérique, Bases de données, Enquêtes des coroners du district de Québec (1765-1930).
[6] BAnQ, Collection numérique, Registre de l’église Saint-Sauveur, Québec, 21 juin 1887, folio 173.
[7] L’Électeur, Québec, 21 juin 1887, p. 4
[8] La Justice, Québec, 20 juin 1887, p. 4.
[9] BAnQ, Collection numérique, Registre de l’église Saint-Roch, Québec, 21 février 1886, folio 31v.
[10] L’Électeur, Québec, 21 juin 1887, p. 4.
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