Peur du noir?

Cher public de Québec, je regardais cette salle comble hier soir, heureuse de voir tant de regards curieux et d’esprits ouverts pour assister à la représentation de The Black Piece. Une chorégraphie complexe et chirurgicale, de WArd/waRD - Ann Van den Broek, sur la thématique du noir, qui s’harmonise parfaitement avec l’arrivée de novembre.

Peur du noir? | 2 novembre 2018 | Article par Catherine Breton

Crédit photo: Maarten Vanden Abeele

Cher public de Québec, je regardais cette salle comble hier soir, heureuse de voir tant de regards curieux et d’esprits ouverts pour assister à la représentation de The Black Piece. Une chorégraphie complexe et chirurgicale, de WArd/waRD – Ann Van den Broek, sur la thématique du noir, qui s’harmonise parfaitement avec l’arrivée de novembre.

Après la représentation, lors de la discussion avec les artistes, la chorégraphe Ann Van den Broek a révélé que l’origine de ce spectacle peu commun vient de la lecture du livre Noir, histoire d’une couleur de Michel Pastoureau.

Elle a raconté que dans son processus de création, une idée peut parfois germer sur des années. Et que, guidée par son intuition, elle prend des notes au fur et à mesure que les images se présentent et que les concepts se définissent. Le résultat final pour The Black Piece, mélange de danse et de cinéma, nous convie de manière intrigante à ausculter nos parts d’ombre en magnifiant ce qui se terre dans l’obscurité.

La beauté des ombres

Beaucoup de gens associent la couleur noire avec les ténèbres et la mort. Dans son livre, Pastoureau nous rappelle que dans la Bible, le noir précède tout ce qui existe. En référence à ce néant originel, la chorégraphe invite son public à être à l’affut de ce qui grouille, geint ou se réjouit, en le plongeant d’emblée dans l’obscurité totale pendant plusieurs minutes.

Puis, à la lueur de lampes de poche, les corps émergent. Leurs mouvements dessinent des ombres portées sur les murs. Une caméra entre en scène. Elle donne le focus à certains éléments précis qui sont projetés sur grand écran en direct : une poupée russe, des chaussures, des lunettes soleil… Les sons, captés également en direct, sont amplifiés, nous donnant l’impression d’être soudainement dotés d’une ouïe hors du commun.

Il en ressort, au premier abord, quelque chose de très primitif et d’animal. De sauvage et d’un peu terrifiant, qui appartient au royaume des cauchemars et qui fascine à la fois. L’œuvre titille notre curieuse attirance pour ces parties de l’être humain qui sont étrangères à la lumière.

Petit à petit, le focus glisse et nous donne accès à l’intimité des interprètes. La caméra traque et débusque leur part d’ombre, de vulnérabilité, mais aussi de noblesse. Les sons, les images filmées et les ombres portées nous font voyager dans des dimensions qui appartiennent tantôt au conte, tantôt au film d’horreur ou à l’érotisme. Bref, des lieux communs remplis de secrets et de trésors, qui frôlent aussi à l’occasion le chaos et les tourments.

En fond sonore, des bouts de phrases tournent : « I am you », « I want to touch you ». La citoyenne qui m’accompagnait hier et moi avons ressenti cette amplification de la proximité créée par l’obscurité, comme si le noir autorisait une intimité collective qui est impossible en plein jour.

50 nuances de noir

Puis, un passage visuel et sonore qui sème la confusion en nous, nous ordonne de sortir : « Get out of here », peut-on entendre dans la trame sonore. Ce qu’on voit à l’écran ne correspond plus à ce qui est filmé, on perd nos repères, on se sent exclus. Mais ce n’est que pour nous amener à percevoir d’autres révélations dans d’autres coins sombres.

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Il y a une telle densité dans le noir créé par la chorégraphe qu’on a l’impression de toucher à l’infini des possibles. J’aurais aimé voir et revoir ce spectacle pour pouvoir poser mon regard ailleurs, sur différents éléments qui construisent cette œuvre multicouche.

À un moment de la représentation, la chorégraphe, qui s’est attribué le rôle de maitre des lumières, allume la salle. La lumière nous apparait crue, presque trop intense. L’évidence nous saute au visage : l’intérêt de ce qui se passe sur scène est mis en lumière par l’obscurité. Et on réalise qu’on aime le noir créé par Ann Van den Broek.

Et la bonne nouvelle, c’est qu’il reste encore des billets pour voir The Black Piece, présenté par La Rotonde à la salle Multi de Méduse en ce vendredi soir.

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