Dans l’îlot des Tanneurs, l’Épicerie Rochon est un coup de cœur pour quiconque la visite une première fois. Le décor est joli et coloré, les curiosités sont nombreuses, l’offre de bière locale est étonnante... comme l'histoire des patronnes. J’ai rencontré Julie Morin, l'actuelle propriétaire, et Odette Bélanger, la précédente.
L’Épicerie Rochon : trois générations de femmes entrepreneures
Dans l’îlot des Tanneurs, l’Épicerie Rochon est un coup de cœur pour quiconque la visite une première fois. Le décor est joli et coloré, les curiosités sont nombreuses, l’offre de bière locale est étonnante… comme l’histoire des patronnes. J’ai rencontré Julie Morin, l’actuelle propriétaire, et Odette Bélanger, la précédente.
Madame Rochon
C’est l’histoire de Johanne Rochon, qui a tenu l’épicerie pendant dix ans. Son homme travaillait à la Ville de Québec. « Y’a toujours eu un commerce ici », dit Odette Bélanger. Avant, c’était une copropriété de négociant d’un certain monsieur Turgeon.
Madame Bélanger
C’est l’histoire d’Odette Bélanger, divorcée qui, à 45 ans, voit une annonce dans le journal : « Créez votre propre emploi, dépanneur à vendre ». Elle décide d’acheter dans Saint-Roch, un quartier à la réputation peu enviable en 1988. Personne ne voulait lui prêter. « Mais moi, je savais que j’allais réussir. »
À l’époque, y’avait sept dépanneurs dans le coin sur Arago. Y’en avait un près de l’église dans Saint-Sauveur, un autre au coin de Bayard, un au coin de Langelier, Le Centrale près du Soleil et Jimmy, qui était mon voisin. Y’avait beaucoup de gens pauvres, Saint-Roch c’était un trou en 1988. Le comptable m’avait bien avertie de ne pas faire de crédit aux clients. Quand tu commences à faire du crédit, tu t’attires bien du trouble. Mon père était plus confiant, il disait : “une ville, ça meurt pas, un maire va arriver un jour et va renipper le coin”. »
Madame Bélanger n’a pas eu le temps de changer le nom de l’épicerie; elle devait s’occuper de sa famille en plus de démarrer son affaire. Peu de temps après ses débuts, Sylvain, le représentant de McAuslan est débarqué et Odette a trouvé sa niche : elle allait survivre grâce aux brasseurs locaux. Elle a acheté cinq caisses de 24 pour commencer et les a vendues comme des petits pains chauds.
Dans le temps, y’en avait pas de bière de microbrasseries, nulle part ! Le vendredi, on faisait des dégustations avec une promotion de la bière dans le journal Le Carrefour. Ça marchait beaucoup. »
En 2004, madame Bélanger voulait vendre à sa fille, mais une série de drames personnels, qu’elle n’a pas voulu partager, l’en a empêchée. Elle est demeurée jusqu’en 2016, mais l’enthousiasme s’étiolait. Un jour, à bout de nerfs, elle a supplié un fournisseur, un peu à la blague, de lui trouver un acheteur. Odette est heureuse de la relève et avoue qu’elle ne pouvait espérer mieux. Elle voit en Julie l’enthousiasme qu’elle n’avait plus pour avancer des projets.
Madame Morin
C’est l’histoire de Madame Morin, qui venait d’acheter le dépanneur d’un concurrent au Lac-Saint-Charles. Elle ne s’attendait pas à en acquérir un troisième, mais l’offre est tombée du ciel. Lorsqu’elle a appelé son comptable pour l’informer qu’elle allait acheter l’Épicerie Rochon, il trouvait que c’était une mauvaise idée. Il faut croire que le spectre de l’épicerie planait autour… Le père de Julie tenait une épicerie à la Pyramide, elle semble avoir hérité du gène d’entrepreneur. Madame a les deux pieds ancrés au sol, on lui décèle dans l’œil un vécu déjà bien complet, malgré son jeune âge. Elle avoue ne pas avoir trouvé le temps de visiter le quartier encore, prise entre les affaires et sa vie de famille. Elle partage avec enthousiasme ses nouvelles visées pour l’épicerie, que je dois malheureusement garder secrètes… pour le moment.
J’ai des questions…
Puisque j’ai les deux dames devant moi, je ne peux m’empêcher de leur poser des questions sur le métier de cheffe d’entreprise.
Ça doit être dur sur le moral, un hold-up ?
Les mines d’Odette et de Julie s’affligent en même temps, elles sont unanimes : le plus difficile, c’est d’attraper un employé qui vole.
« Du monde à qui t’as fait confiance, ça c’est dur. Surtout ceux à qui tu laisses une chance. Quelqu’un qui sort de prison et qui te supplies de le prendre par exemple. Un matin, on découvre le dépanneur en bordel parce que la personne s’est servie dans ta bière », dit Julie.
Un hold-up, c’est pas si pire, on est protégé contre ça. Une fois, j’étais partie à courir après un gars dans la rue parce qu’il m’avait volé une bouteille de vin. La police m’avait chicanée en me disant qu’il aurait pu se retourner et me donner un coup de couteau. On donne l’argent pis ça finit là.Le monde pense qu’on est millionnaire, mais c’est pas vrai ! Une fois, un client est arrivé avec son ami pour faire un hold-up. Même si y’avait un bas sur la tête, je l’ai reconnu et j’étais choquée ! Je lui ai dit : “Mario, t’es vraiment pas fin de me faire ça, après toute l’aide que je t’ai donnée !” », ajoute Odette.
Comment c’est, être une femme entrepreneure ?
Julie : « Souvent, on nous prend pas au sérieux… »
Odette : « Les fournisseurs se présentaient pas à moi au début. Ils demandaient d’emblée:
— Est-ce que je pourrais parler au patron ?
— À quel sujet ?
— Je reviendrai.
Deux jours plus tard, le fournisseur revenait :
— Votre patron est-tu là aujourd’hui ?
— À quel sujet ? je vais lui faire le message.
— Je vais revenir.
La troisième fois :
— Coudonc y travaille jamais lui !
— Non, c’est moi la patronne. »
Cette rencontre avec ces deux femmes admirables, je vais m’en souvenir longtemps. J’ai été content d’avoir des nouvelles d’Odette, qui habite aujourd’hui Sainte-Foy, et de rencontrer Julie Morin, qui a pris le temps de me rencontrer entre deux trottes. L’Épicerie Rochon continue de surprendre avec ses nouveaux étalages et ses produits colorés. Un avenir brillant se pointe le bout du nez pour le commerce, tout comme pour Saint-Roch d’ailleurs.
Épicerie Rochon
98, rue Arago Est
418 523-0348
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