Foreign Radical au Carrefour international de théâtre : jusqu’où aller pour la sécurité publique?

<em>Foreign Radical</em> au Carrefour international de théâtre : jusqu’où aller pour la sécurité publique? | 10 juin 2017 | Article par Léa Fischer-Albert

Crédit photo : Robert Dewey

La majorité des Québécois n’ont sans doute pas de problème à traverser les douanes. Même, plusieurs doivent aimer les aéroports. Ce n’est pas le cas de tout le monde, toutes origines confondues. Foreign Radical lève le voile sur la réalité de beaucoup de personnes qui vivent des expériences terrifiantes aux douanes simplement à cause de certaines caractéristiques et de concours de circonstances.

Avoir le sort d’un inconnu entre les mains

Le Studio d’essai de Méduse devient un labyrinthe pendant Foreign Radical. Le spectateur entre dans une pièce sombre au milieu de laquelle se tient un homme (le comédien d’origine iranienne Aryou Khakpour) complètement nu, penché sur une table. Le groupe est rapidement amené dans une autre pièce, où un grand jeu questionnaire animé par le superbe Milton Lim commence. Nous devons décider du sort de l’homme aperçu dans l’autre pièce : doit-il être inscrit sur la liste de surveillance terroriste? On comprend qu’il était nu parce qu’il venait de se faire fouiller, probablement sans dignité.

Commence alors un grand jeu à la fois ludique et grinçant. L’animateur pose des questions très profondes, le spectateur doit répondre en se déplaçant sur les cases disposées dans la pièce ou en tapant des mains. Cela classe les spectateurs en groupes (le nôtre a été décrété très progressiste), et chaque groupe vit le spectacle différemment. À un moment donné, nous devons fouiller la valise du suspect et après cette fouille rapide, sans recherche plus poussée, nous devons décider s’il faut ou non le placer sur la liste de surveillance terroriste. On nous rappelle à plusieurs reprises que nous n’avons pas besoin de faits concrets ni vérifiables pour prendre cette décision. Un doute peut suffire, mais notre choix chamboulera complètement la vie du suspect.

Votre liberté d’association ou la possibilité de voyager à l’international?

Foreign Radical pose de nombreuses questions éthiques, philosophiques et existentielles au cours de l’heure et quart du spectacle. À un moment précis, les spectateurs se font aligner contre le mur d’une pièce, dans un rectangle de lumière. Chacun doit avancer d’un pas s’il répond oui aux questions posées. Aimez-vous les aéroports? Avez-vous déjà fait entrer de la drogue illégalement dans un pays, consciemment ou non? Avez vous déjà vécu une fouille à nu aux mains d’un douanier? Une fouille de vos cavités corporelles?

Les questions posées réfèrent à des situations où l’on perd de plus en plus nos libertés individuelles et notre dignité. À la fin, tous les spectateurs sont restés dans le carré de lumière. Une situation qui témoigne du privilège de notre groupe : nous étions tous caucasiens, de classe moyenne élevée, d’Amérique du nord. Si notre groupe présentait plus de diversité culturelle, certaines personnes se seraient peut-être rendues du côté sombre de la pièce.

On nous emmène ensuite dans une autre pièce complètement noire, où on nous pose de nouvelles questions, qui culminent par celle-ci : entre votre liberté d’association (liberté de choisir vos amis, les groupes auxquels vous vous associez, bref toutes vos relations personnelles et professionnelles) et la possibilité de voyager à l’international, que choisiriez-vous? La question a grandement résonné en moi, et la réponse du groupe m’a surprise : sur une vingtaine de personnes, seulement quatre ont choisi leur liberté d’association, les autres ont choisi la possibilité de voyager à l’international.

Foreign Radical est un excellent spectacle qui pose les vraies questions sur la paranoïa terroriste, en laissant le spectateur se faire sa propre idée. Les réponses données doivent différer selon le groupe, et m’ont personnellement fait réaliser mon propre privilège et celui des caucasiens nord-américains. La pièce souligne bien à quel point on n’a pas besoin de faits concrets pour placer quelqu’un sur la liste de surveillance terroriste, et que d’être sur la liste brise la vie de la personne concernée. Un spectacle frappant, dont la fin ouverte est un peu anti-climax, mais qui permet de continuer à faire résonner les questions, nécessaires, posées pendant la représentation.

Toutes les représentations ont lieu en anglais, sans surtitre. L’animateur fait de son mieux pour aider le groupe à saisir ce qu’il dit, en répétant la question et en insérant ici et là des mots en français, mais il faut bien comprendre l’anglais pour vivre l’expérience complète.

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Foreign Radical est présenté au Studio d’essai de Méduse, dans le cadre du Carrefour international de théâtre ce samedi 10 juin, à 15 h et à 19 h.

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