Bienveillance. À la recherche de notre bonté.

<em>Bienveillance</em>. À la recherche de notre bonté. | 21 septembre 2017 | Article par Valériane Cossette

De gauche à droite : Isabelle Jacques (Nadia Girard Eddahia), Bruno Green (Eliot Laprise), Maman (Lorraine Côté), Gilles Jean (Emmanuel Bédard). Au fond : Hercule Jean (Éric Leblanc).

Crédit photo: Nicola-Frank Vachon. Gracieuseté du Théâtre de la Bordée.

C’est quoi être une bonne personne? Le suis-je? Le sommes-nous? Et est-ce que notre bonté est vraiment un geste sans égoïsme? Tellement de questions que se posent plusieurs d’entre nous, je pense (et j’espère). Ce sont les questions que pose la pièce Bienveillance présentée à la Bordée.

Pour commencer sa première saison à titre de directeur artistique, Michel Nadeau a décidé de nous offrir une lueur d’espoir avec ce texte de Fanny Britt. De l’espoir envers la nature humaine : une façon de nous dire que malgré le malheur, il y a des gens qui restent bons, et que nous pouvons changer.

Malheur, humanité et bienveillance

Gilles et Bruno qui se revoient après 17 ans.
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Gilles Jean est un avocat dans un grand cabinet de Montréal. Riche, il a une maison victorienne, une Porsche. En ce début de pièce, il est de retour dans son village natal de Bienveillance. Il revoit après 17 ans son meilleur ami d’enfance, Bruno.

Ce dernier est touché par le malheur. Le fils de son amoureuse, qu’il aime comme le sien, se trouve dans le coma à l’hôpital après une chute de la maison dans l’arbre que Bruno a construite pour lui. Le petit se trouve dans cet état après que l’ambulance ait pris 45 minutes pour arriver sur les lieux de l’accident. Isabelle, la mère, et Bruno poursuivent maintenant la compagnie chargée de la répartition des appels d’urgences.

L’histoire prend forme parce que le cabinet d’avocats où travaille Gilles a pris l’affaire et lui a confié le dossier. Face à la bonté, au malheur et à l’espoir qui habitent son ami et sa copine, et devant l’amour et l’engagement de sa propre mère, Gilles est plein de remords. Il se regarde de l’intérieur, observe ses actions et recherche en lui cette étincelle d’humanité qu’il pense avoir oubliée. Perdue.

Des mots qui poussent à la réflexion. Humains.

Gilles parle avec son père disparu…
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Cette introspection de Gilles est le coeur de la pièce. Et pour bien sentir cette intériorité, le protagoniste s’adresse au public, réfléchit en apartés. Il se pose des questions, décrit l’action de son point de vue, raconte son histoire, celles de son ami, de sa mère, de son père qu’il n’a jamais connu…

Des images fortes, des mots justes et un rythme proche de la pensée humaine qui viennent parfois nous faire rire et surtout réfléchir. Réfléchir à notre propre existence avec ses erreurs, ses bons moments, ses amitiés, ses décisions… Et nous questionner sur notre bonté. Ses motifs, sa pertinence.

Cette écriture se fait aussi sentir dans les paroles des autres personnages, en appuyant et allumant la réflexion de Gilles.

Maman
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Les répliques de sa mère viennent agir en catalyseur d’émotions et de réflexion. Comme ceux de nos propres mères. De celles qui ne se mêlent pas toujours de leurs affaires pour le bien de leur progéniture et qui savent si bien entrer dans sa tête. Ses répliques sont à l’image de cette femme à la personnalité de feu suivie du souffle de ses fils décédés. À tout vent, portée par ses émotions et ses idées préconçues.

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Les mots pleins de détresse, de bonté, d’espoir – et parfois de colère – de Bruno et Isabelle mettent Gilles face au malheur et attisent ses remords. Leur détresse, leur propre sentiment de culpabilité et leur fatalité sont si grands, et les mots qui les contiennent, si petits… que le tout parfois éclate.

Un jeu juste. Faire honneur aux mots.

Il n’y a pas à dire, c’est l’écriture de Fanny Britt qui porte cette pièce. Mais pour que le texte prenne forme sur les planches, il faut qu’il soit joué. Avec justesse. Dans l’émotion, dans le rythme. Les silences.

Gilles Jean
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Et les comédiens y réussissent. Emmanuel Bédard, avec sa voix profonde et son jeu sans artifices inutiles donne à Gilles Jean intensité et crédibilité. Dans la salle, on croit à son questionnement, à ses remords, à sa torture intérieure. Il est sincère.

Lorraine Côté joue la mère du protagoniste avec vraisemblance et coeur. Avec sa fougue et son amour exubérant pour son seul fils restant, son inquiétude, son désir d’avoir un fils bon, elle nous fait plus d’une fois rire et (en tout cas pour moi) penser à notre mère.

Bruno et Isabelle pleins de douleur, de peine.
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Eliot Laprise arrive à jouer un Bruno plein de culpabilité, d’amour, d’amitié, de bonté avec juste assez de colère refoulée. On croit à sa peine, à sa douleur et à cette affectation sincère qu’il porte à Gilles.

Pour Isabelle, la mère du petit et la copine de Bruno, Nadia Girard Eddahia arrive à jouer l’absence. Ce que je veux dire, on arrive à sentir que son personnage a perdu la notion du temps, qu’elle ne dort plus et n’a pas toujours l’esprit ici avec nous – il est avec son fils dans le lit d’hôpital.

Et n’oublions pas le très polyvalent Éric Leblanc, qui interprète avec nuances le père de Gilles, son patron.

Mise en scène épurée. Laisser place à la réflexion.

Pour sa mise en scène, Marie-Hélène Gendreau a décidé de laisser toute la place au texte. Et c’est tant mieux.

Un décor et une mise en scène épurés.
Crédit photo: Nicola-Frank Vachon, Bordée

Tout est épuré : pas de dispositif compliqué, aucun mur, une table, des pommes, une lune et une petite montagne de roc. Montagne qui, pour moi, représente la vie, la route vers la bonté avec ses bouts escarpés.

Rien ne vient distraire le spectateur des mots et de la réflexion qui les suit. Et la musique appuie le tout au bon moment avec juste assez d’émotions. Pas besoin de projections, de bruits excessifs. Seul bémol : la voix en écho du patron de Gilles. Seulement le texte.

Un choix qui pour moi était judicieux et à propos.

Bref, j’ai passé une bonne soirée. Je suis sortie de là ouverte à l’introspection et avec un tout petit peu d’espoir dans le coeur. Celui de voir la bonté un jour triompher.

Bienveillance est présentée jusqu’au 7 octobre au Théâtre de la Bordée, du mardi au samedi.

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