Avare, certes, mais pas en rires

On va au théâtre pour toutes sortes de raisons et elles diffèrent d’un amateur à un autre.J’avoue aimer le théâtre qui remet en question et me laisse, après une représentation, pensive, émue, bouleversée. Bref, une pièce qui me shake le coeur pis l’âme, me sort, comme ils disent « de ma zone de confort ». Donc ce sont souvent des sujets actuels, des pièces contemporaines qui me touchent le plus.Mais j’aime aussi mes classiques. C’est probablement mon côté littéraire. Celui qui a un faible pour Cyrano ou pour William S. et leurs mots. Oui, parfois leurs sujets datent, certains restent un peu d’actualité et plusieurs ont sûrement brassé la cage de plus d’un à leur époque. Les classiques sont la base et sans eux, le théâtre d’aujourd’hui ne serait pas le même.Je le dis chaque fois que je parle d’une pièce de Molière, je l’aime. J’aime sa façon d’écrire. De jouer avec la prose ou la poésie. D’utiliser les situations et de les rendre comiques. De jouer avec des stéréotypes et de les exagérer. De me (nous) faire rire. Et beaucoup. Quand je vois du Molière, je ne m’attends pas à vivre l’émoi que j’ai vécu avec J’accuse. Mais je sais que, si la pièce est bien jouée et mise en scène, je vais passer un bon moment, loin des tracas. Et je ne reviendrai pas toute remuée par en-dedans chez moi pour me coller sur mon chat (miaou !).Pour fermer sa saison, La Bordée a choisi d’y aller dans le rire et la (!) générosité avec L’Avare. Mise en scène par Bertrand Alain, la pièce est un éclat de rire. Un souffle de joie pour finir l’année. Harpagon a beau être avare – de son argent, de sentiments et de compassion. La pièce, elle ne l’est pas.
Un jeu généreux
Dans L’Avare, les rires naissent souvent par le biais du personnage d’Harpagon. Il est partout, tout le temps – ou presque. En tout cas, quand il n’est pas là sa présence se fait sentir. Grippe-sous à souhait, ses moindres gestes, inquiétudes tournent au rire. Que ce soit quand il vient dans le public pour trouver qui a volé sa fameuse cassette ou lorsqu’il se penche dans l’étang pour ramasser un sou… Il a beau être avare, Jacques Leblanc qui l’interprète, lui, se donne au complet dans le rôle. Mimiques, tics, jeux de voix, apartés, il joue cet homme haïssable avec brio et coeur (même si le personnage n’en a pas…)
Le reste de la distribution appuie et soulève le jeu de Leblanc à merveille. Les manières maniérées (oups !) et l’exubérance de Cléante (André Robillard), amoureux sensible et plein d’émotions. Le silence plein de reproches et de sous-entendus de Dame Claude (Réjean Vallée). L’éloquence et l’excès de Fronsine (Frédérique Bradet)… Des personnages pleins de couleurs, de jeunesse, de glam qui viennent accentuer l’avarice d’Harpagon. Un jeu généreux de chaque acteur.
Une mise scène généreuse (aussi)
Les décors sont sobres : une maison sans murs ou toit (que des poutres de bois). Et cette maison, par sa forme, en ressemble un peu à un catwalk. D’ailleurs, souvent les personnages plus jeunes (et en amour) entrent en scène en se déhanchant comme une top modèle sur le podium… Mais en beaucoup plus exagéré. Ce qui provoque bien sûr des rires.Beaucoup du succès du jeu des acteurs est, oui, dû à leur façon de déclamer leur texte, mais une grande partie repose aussi sur le non verbal. Et même les costumes !
On peut dire que la pièce est drôle lorsque la simple entrée d’un personnage fait éclater le public de rire à cause de son attitude, mais surtout de ses habits. Ou bien lorsqu’un personnage muet qui passe le balai provoque le rire par ses mimiques, et que la situation provoque la même réaction. Bref, la mise en scène, les costumes, tout est pensé pour décrocher des rires. Sans oublier la scène finale, que je ne vous décrirai pas pour préserver votre plaisir, mais disons que cet ajout très « cinématographique » ferme la pièce avec tous les rires nécessaires à vous lever d’un seul coup pour l’ovation.Bref, L’Avare, c’est une pièce à aller voir pour bien terminer la saison théâtrale. Elle vous fera du bien en cette période grise et pluvieuse où le printemps tarde trop à s’installer.L’Avare est à l’affiche au Théâtre de La Bordée jusqu’au 6 mai, du mardi au samedi.