Le carrosse de Cendrillon de passage dans Saint-Roch
Le Carrefour international de théâtre s’ouvrait hier et c’est au Théâtre la Bordée qu’était présenté le tout premier spectacle de cette 17e édition : la très attendue relecture de Cendrillon du metteur en scène français Joël Pommerat.
Dans la salle, la foule est fébrile avant que se fasse le premier noir d’une longue série dans le cadre du festival. Du coin de l’œil, je reconnais des habitués de théâtre, quelques comédiens et beaucoup de passionnés de culture, mais je reconnais surtout sur les visages la soif d’assister à un spectacle dont on sait que l’on se régalera. Il faut dire qu’il y a quelques années que le Carrefour tente d’ajouter Cendrillon à sa programmation, alors que le spectacle bruxellois roule sa bosse depuis 2011, séduisant les publics de la France à Taiwan en passant par le Chili.La voici donc chez nous, enfin, cette Cendrillon. Et à voir l’ovation généreuse qui lui a été offerte, la production du Théâtre National de Bruxelles a ici aussi conquis le public. À peine quelques billets demeuraient disponibles ce matin pour les représentations de ce soir et demain. Que ceux qui souhaitent y assister se hâtent !
Un pari audacieux
Revisiter un conte aussi connu en évitant les clichés et la morale est un pari audacieux, et Joël Pommerat le remporte avec brio. Comment faire (re)vivre une histoire devenue mièvre et poussiéreuse à force d’être racontée ? C’est là toute la force du travail de Pommerat : avoir su réinventer Cendrillon avec suffisamment de liberté pour qu’elle nous dise enfin quelque chose de nouveau, tout en restant fidèle à la trame du récit qui nous est familier. Il en résulte des personnages encore plus humains, qui nous font rire et nous secouent, avec efficacité. Ajoutons à cela une scénographie remplie de poésie, tantôt lourde et tantôt aérienne, et ainsi la magie opère : nous revoilà devant l’histoire de Cendrillon avec nos yeux d’adultes et nos cœurs d’enfants.Le spectacle met en scène neuf personnages joués par cinq acteurs qui savent nous atteindre au-delà de l’attachement que l’on porte encore inconsciemment à ceux du conte original. On retrouve avec joie la belle-mère que l’on aime tant détester, la fée salvatrice, les sœurs méprisantes et le père effacé, dépassé, écrasé. Mais ils sont autres. Ils habitent avec vantardise une maison au design d’architecte, prennent des selfies, fument et s’engueulent. Et il y a quelque chose de fondamentalement jouissif à retrouver, adultes, des personnages marquants de notre enfance collective, dépouillés de leur vernis, bruts et non moins brillants.
Cendrillon / Sandra
Il y a donc cette fée qui débarque dans la chambre de Cendrillon, clope au bec, cheveux en batailles, en lui balançant un rude « Mais elle est chiante ta vie ! ». Et cette Cendrillon, pas particulièrement jolie, même pour aller au bal, et qui rencontre son prince, petit et androgyne. Renommée Sandra – et surnommée Cendrier par ses sœurs – elle n’est plus la pauvre enfant soumise que l’on plaignait en feuilletant nos livres d’enfant. Pourtant, on y retrouve toute la fragilité du personnage original, derrière cette carapace qu’elle se forge après le décès de sa mère. Car c’est de ça dont il s’agit : une jeune fille déracinée et déboussolée, après la perte de sa mère.Cette fois, loin d’être passive, elle double son triste sort d’un fardeau qu’elle s’inflige elle-même, rongée de culpabilité à l’idée d’oublier sa mère ne serait-ce que quelques minutes. Lorsque la marâtre tente de lui imposer les tâches ingrates, la Cendrillon victimisée de notre imaginaire collectif est remplacée par une Sandra qui s’accable elle-même de tout le sale boulot, convaincue que c’est ce qu’elle mérite. Un reflet des maux actuels qui nous bousculent hors des standards du conte de fées, tout en en conservant mystérieusement l’effet, doublé d’une humanité très proche de la nôtre, très 2016.Pour ceux qui n’ont pas encore leur billet, précipitez-vous sur les dernières places disponibles pour les représentations de ce soir et demain, en appelant directement à la billetterie du Carrefour : 418 647-3813.À lire aussi : Carrefour international de théâtre : Saint-Roch est au menu.
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