Le Carac’terre de l’objet quotidien
OPINION DES LECTEURS – Marc Grignon, enseignant en histoire de l’art et proche du milieu de la céramique, pose dans ce texte un regard avisé sur l’événement Carac’terre, qu’il suit de près depuis sa première année.
À nouveau cette année, Carac’terre, l’exposition de l’Association des céramistes du Québec, se tient à place de l’Université-du-Québec jusqu’au 10 juillet. Pour le public, c’est l’occasion de se questionner sur ces objets qui font tellement partie du quotidien qu’on ne les voit presque plus : bols, tasses, assiettes, pichets, etc. Les 27 exposantes – car l’édition 2016 est presque entièrement féminine – ont des formations variées. Certaines sont autodidactes, d’autres, issues d’une école spécialisée comme la Maison des métiers d’art dans Saint-Roch ou le Centre de céramique Bonsecours à Montréal, alors que d’autres encore détiennent une formation en arts visuels.Afin de bien saisir l’approche créative de chacune, évitons de considérer leurs pièces sous l’angle affadissant de la décoration intérieure à la mode… Les pièces qui risquent d’accompagner longtemps leur acquéreur sont plutôt celles qui vont l’intriguer, l’étonner, le faire hésiter. Pour comprendre ces objets, il faut non seulement les regarder, mais aussi les toucher et les manipuler, car leur poids, leur texture, leur équilibre – tout cela compte.Le XVIIIe siècle disait que mettre du « caractère » dans un objet, c’est le concevoir de manière à susciter les émotions qui conviennent le mieux à sa fonction. L’évènement Carac’terre semble vouloir renverser cette équation et suggérer que c’est l’émotion qui permettra de trouver la fonction, l’usage particulier que fera quelqu’un de cet objet.
Quelques coups de coeur
Parmi les créations que j’ai appréciées, les pièces de Sophie Bouchard surprennent par l’inventivité de leur décor, qui associe terre nue, glaçures et oxydes pour créer des contrastes de textures et de couleurs d’une grande vivacité, communiquant un sentiment quasi baroque. Chez Annie-Cécile Tremblay, le dessin figuratif s’empare du volume des bols et des tasses de manière complète. Sa maîtrise de la ligne et de la couleur s’allie à un sens de la forme tridimensionnelle remarquable.Par contraste à cette approche centrée sur l’objet unique, d’autres artistes réussissent à individualiser des pièces produites en série en laissant une certaine place à l’aléatoire dans le tournage et dans le décor. En particulier, les assiettes, bols et gobelets en grès de Makiko Hicher, qui se distinguent par leur légèreté et la finesse de leur exécution, développent des décors mouchetés chatoyants. Très différents, les assiettes, tasses et autres objets de Stéphanie Blanchet, tournés avec beaucoup d’assurance, ne sont jamais identiques ni dans leur forme ni dans leur décor de bruns et de rouges profonds, où la variation semblant faire parmi intégrante du mode de production.Le « hasard contrôlé » devient ainsi un moyen pour les céramistes de pousser plus loin leur exploration. Dans cette perspective, l’exposition montre le travail de plusieurs céramistes employant des techniques de cuisson qui favorisent les effets aléatoires, comme le raku chez Carole Fontaine ou la cuisson au gaz chez Fabienne Synnott et Elizabeth Hamel. Certaines participantes poussent le questionnement de l’objet jusqu’à la sculpture. Cette année, un espace galerie permet de mieux mettre en évidence ce type de travail, qui se présente moins bien sur les étagères de format standard.
Bien plus qu’une expo-vente
Il est important de souligner que Carac’terre n’est pas uniquement une expo-vente. C’est aussi un évènement pour les céramistes eux-mêmes, un rendez-vous et un lieu d’échange fortement identifié au quartier Saint-Roch. Le site se trouve d’ailleurs à proximité de la Maison des métiers d’art, de la galerie MATERIA et le la maison de thé Camellia Sinensis, qui a organisé le concours Terre et thé visant à récompenser la création du meilleur bol à thé. Les lauréates de ce concours sont maintenant connues : il s’agit de Fabienne Synnott (1er prix), de Jeanne Baronet (2e prix), et de Stéphanie Blanchet (3e prix).Pour le public, c’est une excellente occasion de rencontrer les artistes : le personnel d’accueil est entièrement constitué des céramistes elles-mêmes, qui ne souhaitent pas mieux que de parler de leur travail. En outre, le public peut s’initier au tournage de l’argile dans une section Atelier, guidé par des céramistes spécialisées dans les activités de formation.Carac’terre s’efforce aussi de favoriser la créativité et le renouvellement chez ses participantes – une chose qui peut rapidement faire défaut dans les évènements annuels de ce type.
Carac’terreplace de l’Université-du-Québec – 410 boulevard Charest Est30 juin au 10 juillet 2016
Soutenez votre média
Contribuez à notre développement à titre d'abonné.e et obtenez des privilèges.