La Quête de Martine
Fidèle à son poste de vente de La Quête en face du complexe Jacques-Cartier, côté rue Saint-Joseph, Martine s’est généreusement confiée à nous récemment. Elle était en compagnie de Francine Chatigny, coordonnatrice du magazine de rue.
Avant de raconter sa routine de travail, Martine a élaboré sur les circonstances qui l’ont menée à s’engager il y 18 ans pour La Quête, dont le tirage est de 2000 à 2500 copies par mois. Cette époque, le milieu des années 1990, est désormais loin derrière elle…
« Aujourd’hui je m’en suis sortie, mais il faut comprendre la maladie mentale. […] Après mon secondaire, j’ai quitté Montréal pour Québec parce que je vivais des choses difficiles. […] Je criais, je dérangeais. […] J’ai erré de chambres en chambres. On m’avait diagnostiqué une schizophrénie. […] J’ai été plusieurs fois hospitalisée à Robert-Giffard. »
Nouveau millénaire, soutien salutaire
En 1998, l’Archipel d’Entraide du quartier Saint-Roch, qui administre La Quête, intervient une première fois auprès de Martine « après une plainte de l’Office municipal d’habitation ».
« Un intervenant, Mounir, a cogné à la porte de mon HLM. Il m’a parlé du journal, et j’ai commencé sur la rue Saint-Jean. La première journée, j’en avais vendu 47, j’étais contente. Mais quelques semaines après, j’ai rechuté. Puis La Quête a fermé. »
C’est au tournant du millénaire que Martine réorganise véritablement sa vie, parallèlement au journal de rue pour lequel elle s’engage, depuis, assidûment.
« Le Jour de l’an 2000, j’ai eu une permission de sortie de Giffard. […] J‘ai pu avoir temporairement un logement supervisé par un organisme de Limoilou, et l’Archipel m’a rappelée pour me dire que La Quête était relancée. […] Mon nouveau spot était la place publique en face de la bibliothèque, mais j’ai vite vu qu’il y avait bien plus de monde près du guichet. […] Et ça fait 15 ans que je suis ici ! »
Avec rigueur, Martine planifie puis entreprend sa routine de travail à chaque début de mois, dès la livraison du magazine à l’Archipel d’Entraide.
« J’en achète 20 du coup pour commencer, explique-elle. La veille, je prends le temps de lire le numéro. Je me lève à 9 h 30 pour être en poste à 10 h 15, à moins qu’il ne fasse pas beau. Comme mon objectif est de 100 ventes par mois, que le prix du journal est de 4 $, ça me rapporte 200 $ et j’y arrive souvent les premiers jours. […] J’attends que mes clients réguliers sortent le midi des restaurants, parce qu’ils ont alors de la monnaie, et j’aime beaucoup jaser avec eux. J’ai croisé plusieurs personnalités, dont Agnès Maltais, qui travaille tout près d’ici. […] Souvent, on me donne 5 $, parfois 10 $, la plupart du temps, les mêmes qui me connaissent depuis longtemps. »
Martine retire de sa longue expérience ce qu’elle qualifie « d’excellents rapports clients », et elle n’est visiblement pas mûre pour la retraite « même s’ils m’appellent la doyenne ! », conclut-elle sourire aux lèvres.
Comprendre un mode de vie sans juger
« Martine est l’une des rares femmes ayant vendu le magazine aussi longtemps», raconte avec grande empathie Francine Chatigny, depuis plus de quatre ans coordonnatrice de La Quête à l’Archipel d’Entraide.
« Je n’ai peut-être pas étudié en service social, mais je soupçonne que c’est un peu moins difficile pour les gars. Pourtant, Martine a su faire son chemin. »
Francine supervise une quarantaine de camelots « incluant 15 à 20 réguliers ». Âge moyen ? « 50 ans », avance-t-elle.
« Mais on leur donne souvent bien plus parce qu’ils sont prématurément usés. Ils ont eu des parcours difficiles, beaucoup ont fait de l’itinérance, et au moins la moitié souffrent de problèmes de santé mentale diagnostiqués. »
Le recrutement des camelots « se fait essentiellement par le bouche à oreille ». À maintes reprises au fil de la conversation, Martine rappelle pourquoi ce n’est pas si évident… Ainsi, avant d’aborder leurs devoirs d’engagement :
« Nous avions déjà organisé des cafés-rencontres pour mieux faire connaître La Quête, mais ça s’est avéré plus efficace en passant le message dans notre réseau d’organismes, comme la Maison Revivre. […] Cette clientèle a beaucoup de choses à régler dans le quotidien avant d’avoir l’énergie pour s’impliquer. […] Il faut connaître leur réalité, réaliser qu’ils ne l’ont pas eu facile sans juger leur mode de vie. Il y a le froid, ils peuvent se faire insulter. […] Mais une fois qu’ils s’engagent, on s’organise pour qu’ils ne soient pas trop loin de chez eux, là où il y a de l’achalandage, habituellement au centre-ville. Ça se passe sur le trottoir. […] Avec le temps, les gens adoptent leur camelot ! Sur Saint-Joseph par exemple, ils font partie de la culture du quartier : les marchands y sont en général tolérants, mais si un nouveau camelot arrive dans un quartier périphérique où le journal est moins connu, on lui demande alors de bien expliquer sa présence. […] Le respect de l’espace est important : pas le droit d’aller dans les stationnements, pas de consommation, et le permis de vente doit être bien en vue ! »
À la délicate question « Combien font-ils par mois ? », Francine répond sans hésitation : « Ça ne me regarde pas, ce sont des travailleurs autonomes », rappelant à cet égard la discipline de Martine. « Elle travaille les deux premières semaines du mois, de 11 h à 14 h en général, et ça marche ! »
Des attentes réalistes
Sitôt engagée à l’Archipel d’Entraide, Francine Chatigny avait des « ambitions de faire de grandes choses ». Mais à force de côtoyer « une clientèle qui n’a pas notre vécu », elle a vite réalisé qu’« il ne faut pas trop avoir d’attentes sur les résultats de leur expérience au magazine », martelant que le rôle de La Quête n’est pas de mettre fin à l’itinérance ou de transformer ses camelots en « bons citoyens employables ».
« C’est ce que j’ai compris avec le temps : il ne faut pas chercher à ce qu’ils deviennent ce qu’on veut qu’ils deviennent. […] Encore une fois il y a l’âge, et ils ont bien d’autres choses à régler dans leur vie : pour beaucoup d’entre eux, le simple fait d’aller à l’épicerie est un défi ! Ils ne pensent pas nécessairement en termes de succès tous les jours dans leur petite chambre : quand ils en sortent, ça leur évite les blues. Les interactions avec le public, c’est important pour eux. »
Pour la suite des choses, la coordonnatrice du magazine exprime un vœu : que les camelots prennent plus de place dans la vie du magazine, notamment pour l’écriture d’articles dans la section Littérature et poésie, en complément de la partie thématique à l’exemple du spécial quartier Saint-Sauveur d’avril.
« Même si on offre à tout le monde la possibilité d’écrire, précise Francine, cette section est essentiellement produite par des étudiants du département de journalisme et communication de l’Université Laval, encadrés tout aussi bénévolement par Valérie Gaudreau, journaliste au Soleil. Nous avons également nos auteurs réguliers, comme Jean-Pierre Drolet et Bernard Saint-Onge [photo ci-contre]. Malheureusement, on n’a pas une grosse organisation comme celle de L’Itinéraire à Montréal, avec une salle à la disposition des camelots coachés par des étudiants en journalisme. […] Pour l’instant, notre ambition première, avant tout, est de poursuivre notre mission pour ceux qui en ont besoin », conclut Francine Chatigny.
Ayant pour thème « Le pouvoir de la musique », le numéro de juin 2016 de La Quête est maintenant en circulation, toujours au coût de 4 $. Martine et les autres dévoués camelots vous attendent à l’un ou l’autre des quelque 25 points de vente de la ville.
La Quête – à l’Archipel d’Entraide
190, rue Saint-Joseph Est
418-649-9145
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