Jean-Paul L’Allier et les grands projets urbains de Québec : la revitalisation de Saint-Roch

Saint-RochCollaboration spéciale : Jean-Philippe Léveillé (Monsaintsauveur.com)

Jean-Paul L’Allier, décédé le 5 janvier dernier, aura profondément transformé la ville de Québec. Jean-Philippe Léveillé de Monsaintsauveur.com revient sur quelques-uns des grands projets urbains qui ont été réalisés sous les mandats successifs de celui qui fut le maire de Québec de 1989 à 2005.

Jean-Paul L'Allier par Simon Villeneuve — WikipédiaOn ne peut parler de Jean-Paul L’Allier sans aborder le projet phare de son équipe : la revitalisation du quartier Saint-Roch. Ce sont d’ailleurs en bonne partie les divergences sur l’approche pour redorer l’image du quartier qui ont permis au Rassemblement populaire de l’emporter sur le parti du maire Jean Pelletier. Voici un bref retour sur un des grands projets urbains qui ont profondément marqué le paysage de la Basse-Ville.

L’époque héroïque

À la veille des élections municipales de 1989, les grandes démolitions urbaines des années 1970-1980 en vue d’améliorer la fluidité du réseau routier ont laissé des plaies béantes au quartier. Les quelques projets ponctuels pour faire retrouver à Saint-Roch son lustre d’antan, lorsque Saint-Joseph était la rue commerciale la plus courue de Québec, n’ont pas eu les effets escomptés.Construction de la bibliothèque Gabrielle-Roy,  1981. Source : Ville de Québec, N021162Par exemple, la construction de la bibliothèque Gabrielle-Roy et le déménagement du Palais de justice amènent bien un peu plus de monde dans le quartier, mais pas suffisamment pour faire vivre les commerces locaux. Quant à la rue Saint-Joseph, recouverte à grands frais d’un toit en 1974, elle a depuis longtemps perdu son combat contre les centres commerciaux modernes plus facilement accessibles de Sainte-Foy.Construction de l'autoroute Dufferin-Montmorency, 1974. Source : Ville de Québec, N024636L’administration Pelletier imagine alors un projet démesuré pour – c’est du moins ce qu’elle souhaite – redonner un souffle à Saint-Roch : la construction d’immenses tours commerciales et résidentielles en plein cœur du quartier. Il est même prévu de relier celles-ci directement à l’autoroute Dufferin-Montmorency. Une majorité des habitants de la Ville de Québec, dont le territoire était alors beaucoup plus restreint qu’aujourd’hui, rejettent ce projet. Menée par Jean-Paul L’Allier, la nouvelle équipe en place emploiera une méthode plus douce pour faire renaître Saint-Roch.

Reconstruire la ville sur la ville

Après trois années de consultations et de discussions intenses, le maire et son équipe donnent le coup d’envoi à la revitalisation du quartier Saint-Roch en 1992. Trois projets majeurs viennent rapidement affirmer la volonté de la Ville de mener le projet à terme : la construction d’un grand parc urbain, le parc (jardin) Saint-Roch; le déménagement de 150 fonctionnaires dans l’édifice restauré de la Fabrique, un fleuron de l’architecture industrielle; la mise en place de la Coopérative Méduse.

Nous avions trois axes d’action privilégiés : la culture, l’éducation et, avec l’appui du Parti Québécois, les nouvelles technologies », rappelle Lynda Cloutier, alors conseillère municipale au Rassemblement populaire pour le quartier Saint-Jean-Baptiste et très impliquée dans la revitalisation de Saint-Roch.

Chantier du complexe Méduse. Source : inconnue.Ces premières années constituent une époque effervescente à la Ville. Après ces premiers grands gestes, les projets se multiplient rapidement. La principale difficulté : convaincre les institutions et la population de revenir dans le quartier et de croire à sa relance. « On était considérés comme des pelleteux de nuages », rappelle Mme Cloutier. Les médias, en particulier, s’acharnent sur les subventions accordées à la culture et aux ateliers d’artistes, un des axes majeurs du projet. Le Soleil ira même jusqu’à quitter le quartier peu après la construction du parc Saint-Roch pour n’y revenir que des années plus tard, « une claque dans la figure » pour l’ancienne conseillère.Le « trou » de Saint-Roch. Source : inconnue.Le parc Saint-Roch peu après sa construction. Source : inconnue.Plutôt que de miser sur quelques gros projets centralisés, comme l’administration précédente, on préfère favoriser les initiatives privées et les projets collaboratifs qui respectent la trame urbaine. Des programmes de subventions, parfois appuyés par le gouvernement provincial, ou des exemptions de taxes permettent l’établissement de commerces, d’entreprises et d’artistes ainsi que le renouvellement du parc immobilier vieillissant. Entre 1992 et 1999, par exemple, plus de 57 $M sont investis par les secteurs public et privé dans le résidentiel.Ateliers du roulement à billes.La Ville mise également sur l’embellissement du quartier afin de susciter un sentiment de fierté chez la population. Après le parc, des projets à l’architecture éclatée voient le jour : les Ateliers du roulement à billes, la Falaise apprivoisée et le bâtiment de l’INRS, notamment, deviennent des points de repère dans le quartier.L’éducation joue sans contredit un rôle fondamental dans la relance de Saint-Roch. Plusieurs universités et écoles techniques y déménagent. L’Université Laval, l’ÉNAP, la TÉLUQ et l’INRS, entre autres, ont bientôt une antenne dans Saint-Roch, y emmenant une population plus jeune qui tend à s’établir à proximité. Jean-Paul L’Allier, que j’ai eu la chance de rencontrer durant mes études, disait d’ailleurs que les universités étaient comme la rhubarbe : une fois qu’elles ont pris racines, elles n’arrêtent jamais de pousser.L’effervescence du quartier plait également aux jeunes créateurs de l’industrie de nouvelles technologies qui s’y installent. Graduellement, Saint-Roch renouvelle sa population qui l’avait déserté massivement ou qui en avait été expulsée.

Un quartier toujours en évolution

Bien que majoritairement positive, la revitalisation de Saint-Roch aura aussi eu des conséquences moins souhaitables. Les artistes seraient par exemple aujourd’hui beaucoup moins nombreux à pouvoir s’établir dans Saint-Roch, faute de revenus suffisants. C’est d’ailleurs une erreur que reconnaît Mme Cloutier : « Les ateliers d’artistes sont devenus des logements comme les autres. Il aurait fallu trouver un moyen de les préserver. »Les subventions aux entreprises, dont certaines sont encore en place pour les entreprises des nouvelles technologies, peuvent également être contestables dans un contexte d’austérité économique. Elles semblent cependant essentielles, puisque même si la saignée prévue ne s’est pas produite avec la fin du programme du Centre national des nouvelles technologies de Québec (CNNTQ), des entreprises en TI ont quitté et des rumeurs de déménagement de studios de production de jeux vidéo se font régulièrement entendre.La Ville a aujourd’hui dans sa mire plusieurs projets ambitieux (amphithéâtre, écoquartiers et nombreux programmes particuliers d’urbanisme par exemple) qui nécessiteront ou ont déjà nécessité des investissements importants. Elle est donc moins présente dans le quartier Saint-Roch qu’elle ne l’a été par le passé. Pour le moment, il est difficile de mesurer les conséquences de ce désinvestissement.Un prochain billet de Jean-Philippe Léveillé sur Jean-Paul L’Allier et les grands projets urbains de Québec paraîtra dans la semaine du 1er février. À lire en complément :

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