Prendre racine en pleins Ravages

Ravages. Alan Lake Factori(e). La Rotonde
Crédit photo : François Gamache

J’ai toujours été fascinée par le fait que les mouvements du climat s’imposent dans ceux des corps. L’hiver, les yeux se plissent sous le vent et les membres se recroquevillent à la recherche d’un peu de chaleur. Puis, à l’éclosion du printemps, le port de tête bien relevé, les sourires se détendent. Vos pas n’étaient-ils pas plus amples et légers ce week-end sous le soleil qui brillait rue Saint-Joseph ? Dans Ravages, le dernier spectacle du chorégraphe Alan Lake, présenté par La Rotonde, cette emprise de la nature sur le corps est poussée à l’extrême.

En fait, c’est tout le processus de création qui a subi cette influence alors que le chorégraphe de Québec et son équipe se trouvaient à Saint-Raymond-de-Portneuf l’été dernier pour y tourner des images dont quelques-unes sont projetées pendant le spectacle. Pluies abondantes, mini-tornade et inondations se sont succédé pendant leur séjour, aussi ponctué d’accalmies et de lumière. L’oeuvre a inévitablement été marquée par ces revirements climatiques que le chorégraphe a su sublimer à travers les mouvements du quatuor d’interprètes. Ceux-ci rendent de manière brute et éloquente les soubresauts que la nature extérieure imprime à la nôtre.Ravages. Alan Lake Factori(e). La Rotonde.Dans une gestuelle souvent à ras le sol, rappelant l’enracinement, les danseurs se tortillent et s’entrelacent tantôt de manière bestiale, tantôt avec une vulnérabilité très humaine. Même dans les portés, les corps s’agrippent et s’empoignent plutôt que de se soulever. On ne donne pas ici dans l’aérien, mais bien dans l’ancrage. Les danseurs frôlent la terre, s’y laissent glisser, comme happés. Dévastés, ils semblent chercher leurs racines. Ils le font parfois ensemble, s’affaissant dans les bras des uns et des autres, tandis que d’autres sont seuls et presque immobiles, en fond de scène, comme en état de choc. D’autres, encore, s’enfuient. Chacun sa manière de faire face aux ravages.À travers leurs postures souvent improbables et les arrêts sur image qui nous permettent d’en apprécier l’esthétisme, on retrace les amours originelles de Lake, qui a d’abord été sculpteur puis cinéaste avant de plonger dans le monde de la danse. La vidéo, projetée sur tulle et bien dosée, sert la pièce en conviant sur scène l’univers dans lequel s’est construite l’œuvre et en y injectant beaucoup de poésie.David Rancourt dans Ravages. Alan Lake Factori(e). La Rotonde. Crédit photo : François GamacheMalgré la thématique explorée, la nature n’est toutefois ici qu’évoquée. Par les images projetées en transparence, par ces poutres de bois qui rappellent des arbres qui tombent ou encore ces coassements de grenouilles qui ponctuent parfois la trame sonore, mais jamais littéralement. Si on sort de la salle avec en bouche un goût terreux, c’est bien parce que les corps rampants et grimpants des danseurs nous ramènent à cette essence brute. Celle qui, en cas de ravage, rejaillit inévitablement.

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