Le Wok ‘n’ Roll: Chinatown-in-Saint-Roch (1)

Restaurant Wok 'n' Roll, janvier 2013.Quand j’ai décidé de vous parler du Wok ‘n’ Roll, très rapidement une évidence s’est imposée : avec ce resto, impossible de s’en tenir à la simple critique gastronomique. On passerait totalement à côté de la dimension historique du restaurant, qui est incontestablement une institution marquante du quartier. D’une part, le commerce et la famille qui l’opère sont implantés depuis longtemps dans Saint-Roch (Napoléon Woo et sa fille Jaime Kate y sont tous deux nés, y ont grandi et y habitent encore aujourd’hui). D’autre part, l’enseigne même du Wok ‘n’ Roll* fait partie du paysage du quartier, véritable trait d’union entre son passé et son présent.

Un peu d’histoire

Ouvert à la fin des années 1950, le restaurant s’appelait à l’origine Woo’s House, du nom de la famille qui opérait l’établissement – la même famille qui opère aujourd’hui le Wok ‘n’ Roll. Le contexte historique étant ce qu’il était à l’époque, la société québécoise d’alors était bien moins exposée qu’aujourd’hui à la gastronomie d’ailleurs, et même l’accès aux produits « exotiques » était plus restreint. C’est donc une cuisine hybride qui a pris naissance à ce moment, soit celle des « mets chinois canadiens » ou « mets chinois québécois », un métissage de deux cultures culinaires qui permet de faire le lien entre les Québécois de souche et les immigrants chinois.Ainsi, au cours des années 1960 et 1970, c’est un véritable petit quartier chinois qui s’est établi dans ce secteur de Saint-Roch, la communauté atteignant près de 600 personnes à son apogée. Mon collègue blogueur Virgile nous a déjà parlé de cette époque dans l’un de ses billets. Le centre-ville de Québec a ensuite tranquillement décliné, comme on le sait : expropriations, destructions d’édifices, construction d’autoroutes, le cœur de la ville s’est tranquillement vidé. Certains membres de la communauté chinoise de Québec on alors décidé de s’exiler vers le quartier chinois de Montréal, d’autres se sont installés à l’extérieur du centre-ville. Les traces du quartier chinois de Saint-Roch se sont peu à peu envolées.Intérieur du Wok 'n' Roll. Source : Wok 'n' Roll.Le Woo’s House a fermé ses portes en 1995, pour laisser place au Wok ‘n’ Roll qui a vu le jour en 1997 (mine de rien, l’établissement approche sa vingtième année). Rappelons-nous que c’est en 2000 seulement que le Mail Saint-Roch a commencé à être démoli : cela fait du Wok ‘n’ Roll un pionnier de la revitalisation du centre-ville.

Histoire(s) de famille(s)

Les mets chinois canadiens, ça fait un peu partie de nos traditions familiales. Mais le Wok ‘n’ Roll, c’est aussi une histoire de famille, celle des Woo, de véritables témoins de l’évolution du quartier, depuis bien avant les années 1950 jusqu’à nos jours.Pour mon grand plaisir, Jaime Kate Woo retrace l’histoire des Woo, qui est intimement liée à celle du quartier. C’est au cours des années 1950 que son grand-père a acheté le terrain sur lequel se trouve aujourd’hui le Wok ‘n Roll et y a fait construire le bâtiment qui allait abriter le Woo’s House. L’arrière-grand-mère de Jaime Kate est arrivé en renfort en 1957, lors de l’ouverture du restaurant qui coïncidait avec la naissance de Napoléon, le troisième enfant du couple et futur papa de Jaime Kate. Elle a laissé sa buanderie du Bronx et est venue s’installer dans Saint-Roch pour s’occuper de la marmaille, alors que son fils et sa bru opéraient le Woo’s House.La famille Woo travaille toujours de près ou de loin au restaurant : Napoléon est devenu coiffeur, métier qu’il a exercé à temps complet pendant 28 ans, tout en travaillant les soirs et fins de semaines comme livreur, plongeur ou serveur au restaurant familial. Jaime Kate y a travaillé aussi dès son plus jeune âge, en parallèle de ses études puis de son emploi en communications. Ce n’est qu’au cours des 10 dernières années que Napoléon puis Jaime Kate ont délaissé leur emploi pour se consacrer à temps complet au Wok ‘n’ Roll.Parmi sa clientèle, Jaime Kate me parle d’un monsieur qui vient au restaurant depuis des années : il a connu Napoléon alors qu’il n’était qu’un petit garçon et il vient encore une fois par semaine. Elle se rappelle aussi du comité formé de commerces du secteur qui organisait des activités d’accueil pour les travailleurs de l’INRS et de l’ÉNAP lors de leur arrivée dans un Saint-Roch alors beaucoup moins accueillant qu’aujourd’hui. Signe des temps, aujourd’hui, les retraites se multiplient parmi ces gens qui fréquentent son établissement depuis des années !Pour en savoir davantage sur l’histoire de cette institution du quartier, je vous invite à visionner ce clip produit par la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique (Université Laval).

Toujours plus haut ?

Jaime Kate WooAlors que je la rencontrais, Jaime Kate se remettait d’une vilaine grippe qui l’a terrassée au retour de New-York où elle a relevé un défi hors du commun : adepte d’athlétisme depuis longtemps, elle vient tout juste de participer à la compétition 2015 Empire State Building Run-Up. Oui, il s’agit bien d’une compétition de stair climbing – invitée à y participer de façon inattendue, elle a sauté sur l’occasion de reprendre la compétition alors qu’elle avait pris une longue pause suivant des blessures. C’est donc après 10 semaines d’entraînement seulement qu’elle a complété cette compétition. C’était la quatrième fois que Jaime Kate participait à la compétition de New-York, et elle a déjà pris part à des compétitions du genre à Berlin, à Chicago et en Chine.Son père, Napoléon, n’est pas en reste. En 2014, il a été gagnant de son groupe d’âge aux championnats européens de stair climbing, alors que la compétition comportait 3 courses différentes, en 3 jours, dans 3 pays différents (Autriche, République tchèque et Slovaquie). Le 20 mars prochain, il a d’ailleurs été invité à participer à un événement des plus prestigieux : la première édition de la Verticale de la Tour Eiffel, qui regroupera des coureurs triés sur le volet. Quand on jette un œil à la liste des participants élite, on se rend compte que Napoléon Woo est le seul représentant du Canada à cet événement majeur. Et, je ne sais pas s’il m’en voudra de le souligner, mais en examinant les années de naissance des participants, je me suis aussi aperçue qu’il était le participant le plus âgé.Impressionné ? Moi, oui. Beaucoup !Dans mon prochain billet, je vous parle du menu du Wok ‘n’ Roll.Enseigne lumineuse Wok 'n Roll*Si vous vous inquiétez de voir l’enseigne éteinte ces jours-ci, ne vous en faites pas : les grands froids ne sont pas compatibles avec sa mécanique vétuste. L’enseigne est en fait un droit acquis du restaurant – aujourd’hui, il serait impensable d’avoir un permis pour quelque chose du genre.Je lui souhaite longue vie, car chaque fois que je passe devant en marchant à la nuit tombée, je suis instantanément transporter dans un petit Chinatown-in-Saint-Roch.

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