Réal ou la Nuit des sans-abri

« Si c’est une nuit de sans-abri, 80 % de ce monde n’a pas d’affaire là ! », nous lance Réal (nom fictif) en pointant place de l’Université-du-Québec. Pour lui, l’itinérance, c’est la routine, pas une sortie d’un soir… N’empêche, la 13e Nuit des sans-abri du 17 octobre nous aura permis, à mon collègue photographe et à moi, de les rencontrer, lui et sa routine.


« Si c’est une nuit de sans-abri, 80 % de ce monde n’a pas d’affaire là ! », nous lance Réal (nom fictif) en pointant place de l’Université-du-Québec. Pour lui, l’itinérance, c’est la routine, pas une sortie d’un soir… N’empêche, la 13e Nuit des sans-abri du 17 octobre nous aura permis, à mon collègue photographe et à moi, de les rencontrer, lui et sa routine.

Nous étions arrivés à 18 h, début du DÉFI 18/2 lancé par le Regroupement pour l’aide aux itinérantes et itinérants de Québec (RAIIQ) qui organise l’événement à Québec. Le Défi était de faire l’expérience de la nuit dans l’espace public, sur un mode ludique. Certes, l’itinérance n’a rien d’un jeu. Mais ceux qui la vivent sont des personnes à part entière, avec des talents, de l’humour, un besoin d’amusement : tel était le leitmotiv du spectacle animé par François Devost jusqu’à 22 h 50.

Des visages familiers et des lieux d’errance

Les performances musicales et poétiques, mettant en vedette des habitués d’organismes locaux, ont réservé d’agréables surprises. Mentionnons notamment la voix de Sylvain alias Dantell, connu dans le quartier pour son look distinctif, et le son envoûtant de Breizh, formation de Jérôme Grondin. Attirés par la musique, plusieurs passants se sont joints durant la soirée à une foule nombreuse malgré les épisodes pluvieux.

Bibliothèque vivante avec espace d’exposition, installation de bancs publics avec traces de profilage et de répression, fauteuil de café, divan de colocation de passage avaient été aménagés en un parcours de lieux d’errance par les intervenants et bénévoles des organismes participants. Un comptoir de distribution de vêtements, une tente de la clinique mobile Spot, un autel des disparus complétaient le tableau, avec la roulotte Le Marginal garée en bordure du site.

Café, pains de viande, soupe « speed dating » étaient de nouveau au rendez-vous cette année, mais pas le concours d’abris en carton. « C’était populaire, mais il y avait le cliché de la boîte de carton… On voulait quelque chose de plus représentatif de la réalité, de là les lieux d’errance. », a expliqué Bertrand Hug-Larose du RAIIQ.

À 23 h, un feu a donné le coup d’envoi à la Vigile. Si mon collègue et moi sommes partis avant la fin, c’est peut-être que le moment fort de notre Défi était déjà derrière nous…

Réal

C’est peu avant le numéro des jongleurs de feu que nous sommes tombés sur Réal, un clochard céleste sexagénaire, sur le trottoir de la rue de Sainte-Hélène.

« J’ai déjà gagné 700 $ par semaine, et je manquais d’argent », nous a-t-il confié. « Aujourd’hui, dans la rue, j’en ai toujours dans mes poches, je ne manque de rien. Sans BS! », a-t-il ajouté fièrement. « Et, j’ai ma maison — un sac de couchage -20 degrés — dans mon sac Métro! »

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Réal sait où dormir clandestinement, où manger à sa faim, comment soutirer quelques pièces aux âmes généreuses ou aux parcomètres. « À Montréal, c’est facile! », a-t-il répété plusieurs fois devant mon air incrédule.

Des contraventions impayées qui le mènent périodiquement en prison lui épargnent quelques nuits hivernales. Il a appris avec le temps à lutter contre le froid, en mangeant assez, en ne buvant pas trop : « Juste une par jour, je suis alcoolique! Entre 4 h et 6 h, c’est le plus froid. J’ai toujours hâte que ce soit le jour. »

Avec une déconcertante sérénité, Réal nous a dit qu’à 65 ans, il aura sa pension et prendra sa retraite de la rue : « Il me reste deux ans! »

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