Quand Saint-Roch parlait chinois

Toute grande ville nord-américaine, et désormais européenne, qui se respecte a son quartier chinois. Un quartier qui anime souvent l’imaginaire occidental et où l’on pense trouver des tripots clandestins voisinant des échoppes d’aphrodisiaques et autres remèdes miracles. Ce qui en fait des places touristiques de choix.Québec ne peut plus compter cette corde à son arc. Pourtant, il fut un temps, pas si lointain, où l’on parlait d’un quartier chinois à Québec. Et plus précisément dans le quartier Saint-Roch.

Les premières traces de la communauté chinoise

L’ouverture d’une première épicerie chinoise en 1916 dans la côte d’Abraham marque le début de l’installation de cette communauté dans le centre-ville.Arrivant souvent de l’Ouest, les Chinois qui s’implantent dans le quartier travaillent généralement dans le commerce, qui est souvent une affaire de famille. On vient d’abord faire laver ses vêtements chez les blanchisseurs chinois du quartier, puis on viendra manger dans leurs restaurants. Des commerces privilégiés par ces nouveaux arrivants, souvent pauvres, car à cette époque ils ne nécessitent pas d’investissements trop importants.

Une communauté tissée serrée

Cette première épicerie deviendra rapidement le lieu de rencontre de la communauté chinoise de Québec.Puis, ce sera le 367 rue Saint-Vallier qui jouera ce rôle et bien d’autres en servant de local pour la Chinese National League, de centre communautaire, de lieu de culte pour les catholiques chinois, de centre du parti Kuomintang. La nuit, il se transforme en tripot où les hommes viennent jouer leur argent au mahjong. Le rez-de-chaussée accueille, lui, un restaurant. Le 367, bien qu’en piteux état, est un des derniers vestiges de la présence chinoise dans le quartier et arborait, jusqu’à il y a quelque temps, l’enseigne de la Chinese National League. Les multiples fonctions de ce bâtiment témoignent du tissage serré de la communauté pour qui les ponts avec les cultures francophones et anglophones n’étaient pas toujours faciles à construire.

Se faire une place

La communauté chinoise n’était pas toujours bien vue par les natifs du quartier. En 1910, alors qu’on dénombre environ 60 personnes d’origine chinoise à l’échelle de Québec, la ligue « antipéril jaune » voit le jour. Inspirée des ligues similaires de l’Ouest, ce mouvement vise à combattre la menace éventuelle que fait peser cette nouvelle immigration sur la culture québécoise. Heureusement, ce mouvement restera minoritaire à Québec. Il n’en reste pas moins qu’auprès de la majorité des Québécois « pures laines », les Chinois suscitent un mélange de curiosité et d’appréhension. Robert Lepage le traduit bien dans la Trilogie du Dragon, s’inspirant de son enfance dans le quartier et de sa fréquentation de la communauté chinoise. Une appréhension qui a encore parfois des échos aujourd’hui à en juger par les commentaires de certains sur le rachat des dépanneurs par des Asiatiques.

Un quartier disparu

Les traces de la présence chinoise sont bien minces aujourd’hui dans le quartier. La communauté chinoise de Québec va se disperser à partir des années 1970, notamment en raison d’une série d’expropriations pour la destruction de bâtiments qui laisseront place aux bretelles d’autoroute Dufferin-Montmorency. Assez étrangement, de nombreux Chinois quitteront carrément la ville au fil du temps, pour des raisons qui restent floues.Les seuls témoins de cette époque sont la rue de Xi’an en face de l’ancien cinéma Charest, qui avait lui-même pris la place d’un lieu de culte pour les Chinois, et le restaurant Wok’n’Roll. Et quelques irréductibles comme les propriétaires dudit restaurant.De 2002 à 2008, la présence chinoise se manifeste notamment avec le Festival culturel chinois qui donnera lieu à des démonstrations d’arts martiaux et à une course de bateaux-dragons sur la Saint-Charles.

Des idées de renaissance

Il y a eu plusieurs projets de remise en valeur de cette portion de l’histoire du quartier (création d’un nouveau quartier chinois touristique pour le 400e, aménagement d’une place commémorative à l’emplacement de la première épicerie chinoise). Mais à ce jour, aucun projet n’a abouti et il est de plus en plus facile d’oublier ce pan de l’histoire de Saint-Roch.En l’absence d’un quartier chinois physique à Québec, certains membres de la communauté chinoise ont monté un quartier chinois virtuel de Québec afin de garder une trace de leur passage et de rappeler leur présence. Peut-être verrons-nous un jour un rappel physique plus évident de cette facette de l’histoire du quartier ? Toutes les photos sont une gracieuseté du quartier chinois virtuel.

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