Collaboration spéciale - Viviane Asselin (Monlimoilou.com)Je ne saurais compter le nombre de fois où, passant devant les lumières allumées de la Fournée bio (FB) en fin de soirée, j’ai eu envie de cogner à la porte pour qu’on m’invite à l’intérieur. D’une part curieuse de ce métier de boulanger, d’autant plus qu’exercé derrière des portes closes à la nuit tombée, comme s’il y avait là quelque magie réalisée à l’insu des dormeurs. D’autre part portée par cette impression que la nuit, les somnambules et les insomniaques devraient se tenir compagnie.Évidemment, quand Fred (FB) m’a demandé pourquoi j’avais eu l’idée d’écrire un article sur le métier de boulanger, j’y suis allée avec une réponse moins… mystique. Parce que j’aime le pain, que je lui ai lancé comme une enfant de cinq ans pour qui 1+1=2 (en l’occurrence, j’aime le pain + j’aime écrire = écrivons sur le pain). Mais il y a bien là quelque chose de vrai, et qui remonte en effet à l’enfance alors que, traversant la rue qui séparait l’école Saint-Albert-le-Grand de ma maison, j’ouvrais la porte sur une odeur enveloppante de pain tout juste sorti du four, grâce aux bons soins de ma mère.
La passion du pain
« J’aime le pain » : réponse simple, donc, mais que partagent apparemment les boulangers de la Fournée bio à Limoilou et de la Boîte à pain (BP) à Saint-Roch, qui m’ont généreusement accueillie dans leur cache respective. Avant la patience, la concentration et le flair qui distinguent les bons boulangers, il y aurait la passion. Celle qui pousse le propriétaire boulanger de la Boîte à pain, Patrick, à goûter le pain comme d’autres goûtent le vin, celle qui convainc Éric (FB) de continuer à pétrir au seuil de ses 70 ans, celle qui conduit Fred (FB) à rêver de sa propre boulangerie. Aussi est-ce peut-être dans cet amour du métier – et du pain – que réside l’essentiel de la tradition d’un art qui évolue avec le temps.Autrement, il ne semble pas y avoir de recette préétablie pour devenir boulanger. Certains, comme Patrick (BP) et François (FB), passent par la formation professionnelle pour y apprendre les bases. D’autres, dont Fred et Greg (FB), assimilent celles-ci par la pratique. Dans un cas comme dans l’autre, on s’entend pour dire que c’est un savoir-faire qui se développe au fil des années. La machinerie est certes plus présente qu’autrefois – avec une production de quelque 1000 pains par jour, c’est nécessaire –, mais les boulangeries artisanales comme la Boîte à pain et la Fournée bio ne sauraient se passer de la touche du maître d’œuvre, qui intervient à chaque opération de la panification, de la pesée des ingrédients à l’enfournage.
Entre tradition et créativité
Il faut d’ailleurs les voir aller : on dirait une chorégraphie réglée au quart de tour dont je suis la spectatrice privilégiée. Automatiques, les gestes de manipulation du pain n’ont pas moins cette grâce de l’exécution rigoureuse, rythmée par la musique qui emplit le silence affairé de l’atelier de la Fournée bio, où le travail commence et se termine plus tôt qu’ailleurs – entre 20 h et 4 h – en raison des livraisons qui doivent partir le matin.« Pour être efficaces, chacun a sa tâche », explique pour sa part le propriétaire de la Boîte à pain : Christian entre vers 1 h pour découper et façonner la pâte; Mohammed se pointe vers 3 h pour l’assister (ci-dessus) et s’affairer aux viennoiseries; Patrick, lui, commence sa longue journée en me donnant rendez-vous à 5 h 30 pour la séance de bronzage du pain, qui en ressort avec un délicieux hâle doré dont le soleil, qui se lève sur Saint-Joseph, aurait à rougir de jalousie.
Le métier a donc quelque chose de routinier – qui plaît, pour cette raison même, à Fred (FB, ci-contre) –, mais qui exige également un grand sens de l’adaptation. Car chaque boulangerie est unique en raison de son environnement, de ses outils, des variations de température… Aussi existerait-il autant de pains différents que de boulangeries, précise Patrick (BP). D’où que, pour lui, l’expérience compte plus que la théorie, refusant de se faire dire que «c’est comme ça que ça se fait». Le truc, c’est de «prendre le temps de prendre le temps».Je savais bien que les portes closes de la boulangerie de quartier cachaient de Grandes Vérités. *Un gros merci à la Boîte à pain et à la Fournée bio pour leur accueil et leur générosité.