Financement: les groupes communautaires crient à l’aide

Des regroupements d'organismes crient à l'aide. Débordés, ils manquent de ressources pour vaquer à leurs missions et répondre à des besoins sans cesse grandissants. Même si le gouvernement de François Legault a rendu certaines sommes disponibles aux groupes communautaires à la suite de la crise de la COVID, cette aide est soit mal adaptée ou dotée de critères d'admissibilité trop précis pour que certains puissent en profiter.

Financement: les groupes communautaires crient à l’aide | 24 février 2022 | Article par Julie Rheaume

Crédit photo: Pexels.com/Kat Smith

Des regroupements d’organismes crient à l’aide. Débordés, ils manquent de ressources pour vaquer à leurs missions et répondre à des besoins sans cesse grandissants. Même si le gouvernement de François Legault a rendu certaines sommes disponibles aux groupes communautaires à la suite de la crise de la COVID, cette aide est soit mal adaptée ou dotée de critères d’admissibilité trop précis pour que certains puissent en profiter.

Des responsables de regroupements d’organismes pan-québécois ont récemment lancé un cri d’alarme sur le financement du communautaire et l’aide gouvernementale accordée en temps de crise sanitaire.

« Deux ans après le début de la pandémie, alors que le milieu communautaire est toujours en première ligne pour soutenir les personnes en situation de vulnérabilité, on apprend que seulement 45 des 109 millions du fonds d’urgence sectoriel (du gouvernement québécois) ont été distribués aux organismes communautaires », écrivaient Marie-Line Audet, présidente du Réseau québécois de l’action communautaire autonome, et Caroline Toupin, coordonnatrice au RQ-ACA, dans une lettre d’opinion publiée sur le site web de La Presse, le 12 février.

« À la fin de 2021, à peine la moitié (54 %) des organismes avaient reçu des fonds d’urgence du gouvernement depuis le début de la crise de la COVID-19. Le gouvernement, plutôt que de nous faire confiance en bonifiant, même temporairement, notre financement de base, s’est cramponné à une vision utilitaire des organismes en voulant contrôler l’utilisation de toutes les sommes, sans tenir compte de l’évolution rapide des besoins », y disaient les deux autrices.

« Les fonds étaient inaccessibles pour bon nombre d’organismes. En fait, ils visaient des problématiques qui ne correspondaient pas aux besoins multiples sur le terrain. De plus, à un moment où les organismes étaient en gestion de crise sanitaire, la lourdeur administrative de la reddition de compte les ralentissait, alors que les délais de réclamations étaient trop courts – parfois même d’une seule semaine », ajoutaient-elles.

Critères nébuleux

Que pensent des regroupements d’organismes communautaires de Québec du cri du cœur de Mmes Audet et Toupin? Pour eux, quels sont les principaux enjeux en matière de financement?

« C’est un élément parmi tant d’autres, qu’il faut un peu contextualiser », répond Karine Verreault, directrice du Regroupement des organismes communautaires de la région 03 (ROC-03), lorsqu’on lui parle de la distribution de l’argent du fonds d’urgence sectoriel du gouvernement.

« Il y a des revendications du milieu communautaire pour augmenter le financement à la mission depuis plusieurs années, qui se sont intensifiées dans les dernières années (…). Quand on parle du financement qui n’a pas été réparti, c’est du financement annoncé en période de COVID qui était prévu essentiellement pour les groupes en santé et services sociaux, mais aussi pour les groupes en défense des droits. C’était des fonds qui étaient non-récurrents et dont les critères d’attribution, les répartitions (et) le déploiement, d’entrée de jeu, n’étaient pas clairs », enchaîne Mme Verreault.

« Le premier programme d’aide d’urgence COVID proposé visait à pallier l’annulation d’activités d’autofinancement. Il fallait donc faire une démonstration nébuleuse comme quoi aurait eu lieu une activité hypothétique de financement. Deux facteurs ont, à mon avis, écarté plusieurs groupes de ce programme. D’une part, plusieurs organismes de défense de droits ne tiennent pas ou peu ce genre d’activités qui demandent une somme considérable d’énergie et ne rapportent que de maigres bénéfices. D’autre part, le manque de personnel (absent, en maladie ou débordé par l’école à la maison) et l’afflux de demandes rendaient la reddition de compte exigée complètement dissuasive », renchérit Vania Wright-Larin, coordonnateur du Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12), à Monquartier.

« Mis devant l’évidence que plusieurs groupes avaient décidé de passer leur tour, le gouvernement est revenu à la charge avec un nouveau programme plus adapté (qui permettait au moins la possibilité d’acheter de l’équipement informatique nécessaire pour le télétravail et du matériel sanitaire). Cependant, ce nouveau programme est arrivé avec un délai ridicule, ce qui a une fois de plus exclu nombre de groupes. Seuls les groupes les plus chanceux qui avaient déjà entrepris les démarches pour se procurer les outils nécessaires ont pu profiter de ce programme », ajoute M. Wright-Larin.

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« Souvent, durant la pandémie, ce qu’on a vu, ce sont des annonces politiques où on annonçait des fonds pour le milieu communautaire et tout ça… Mais effectivement, il y a beaucoup de ces fonds dont on n’a pas vu la couleur (…). Soit les périodes d’attribution ou les critères d’attribution étaient tellement spécifiques ou déconnectés de la réalité, que les groupes ne pouvaient pas avoir accès aux fonds. Parfois, c’était un fonds qui pouvait être relativement important, mais qui était dédié à un certain type d’organismes  alors que ce n’était pas nécessairement eux qui étaient dans le besoin», déplore quant à elle la directrice du ROC-03.

Mme Verreault cite en exemple des groupes œuvrant en sécurité alimentaire qui ont reçu de l’argent pour des denrées, mais qui restent sous-financés et manquent de ressources humaines. « Tu donnes beaucoup d’argent à l’organisme sur une période très très courte et on lui dit : “By the way, il faut que tu trouves une façon de coordonner ça : les achats, la distribution et tout ça, mais tu ne peux pas utiliser une portion des fonds pour payer du personnel. Ça, il faut que tu fasses ça à la grâce de Dieu!” », a-t-elle affirmé en entrevue le 15 février.

Une telle situation met de la pression sur l’organisme : accepter les fonds pour remplir sa mission tout en demandant davantage à son équipe qui est déjà à bout de souffle ou refuser l’accès à des denrées destinées aux personnes vulnérables? « C’est un non-choix », dit-elle.

Cadeaux empoisonnés

Ces annonces d’aide et programmes du gouvernement s’avèrent dont souvent « des cadeaux empoisonnés » pour les organismes, affirme Mme Verreault.

« D’entrée de jeu, avant la pandémie, les groupes étaient déjà sous-financés. Beaucoup de groupes étaient déjà en situation de précarité. Là, c’est comme au lieu de dire “On va vous aider en mettant des fonds dans le financement à la mission, en vous soutenant mieux et en vous permettant un peu de vous poser”, on continuait à les faire courir avec des fonds ponctuels, dont on ne connaît pas toujours la finalité. Donc, on ne sait pas trop ultimement, qui en a, comment, pourquoi… Souvent, aussi, les informations descendent à la dernière minute. C’est qu’on entend du gouvernement, c’est genre : “Dans dix jours, il faut que les chèques soient dans les organismes!” Heu? L’annonce vient d’être faite. Il n’y a pas d’appel de projets, de besoins ou d’analyse? Il n’y a rien », martèle la directrice du ROC-03.

Pour elle, le message transmis par le gouvernement est le suivant: « on a des fonds, mais pas nécessairement pour vos besoins ».

Sous-financement

Même si la COVID est venue accroître les besoins, les groupes communautaires dénoncent leur manque de financement depuis de nombreuses années. La pénurie de main-d’œuvre vient aussi compliquer leur situation.

« Quand t’es sous-financé, ça veut dire qu’habituellement tes salariés sont sous-payés. Comment veux-tu recruter des personnes et les maintenir dans ton équipe si t’es pas capable de les payer? », lance Karine Verreault du ROC-03.

« Le cœur du problème à des racines plus profondes. À l’instar de services publics, les organismes communautaires sont confrontés à la crise de la main-d’œuvre. Le sous-financement chronique ne nous permet pas d’offrir des conditions de travail compétitives, ce qui rend le recrutement extrêmement difficile. Si on additionne ce facteur à l’effort énorme du gouvernement pour attirer des travailleurs et des travailleuses vers le secteur public, on se retrouve dans une situation inédite de manque de ressources humaines. Situation qu’on ne règle pas avec du financement ponctuel et des mesures d’urgence », ajoute Vania Wright-Larin.

« Actuellement plusieurs groupes, surchargés par une augmentation des demandes d’aide, se retrouvent pris dans un perpétuel processus de renouvellement des équipes de travail. Disons que ce n’est pas la situation idéale pour développer des projets et remplir des demandes d’aide ponctuelles », poursuit le coordonnateur du RÉPAC 03-12.

« Ce que nous, on déplore, c’est que malgré que l’État reconnaisse tout le contribution des groupes communautaires, malgré le fait qu’il ait reconnu plus que jamais dans les deux dernières années (que cette contribution) n’était pas seulement importante, mais que pour les populations les plus vulnérables, (ces organismes) étaient absolution essentiels… Malgré ça, tout qu’on a donné aux groupes communautaires, de manière générale, c’est comme des fonds d’urgence un peu à la pièce et un peu disséminés, parcellaires, pas clairs, au lieu de dire “On répond à leur demande et on investit dans le financement à la mission” », conclut Karine Verreault du ROC-03.

En grève

La grève du communautaire se déroule cette semaine, du 21 au 24 février 2022. Les organismes participants ont choisi de suspendre leurs activités régulières durant cette période.

Plusieurs groupes ont répondu à l’appel à la grève lancé par la campagne Engagez-vous pour le communautaire. Celle-ci « revendique un financement adéquat pour le milieu communautaire (les besoins sont estimés à 460 millions de plus par année pour les 4000 groupes), la reconnaissance et le respect de leur autonomie et des mesures pour réparer le filet social laissé à l’abandon par les derniers gouvernements », selon le RÉPAC-03.

Dans la Capitale-Nationale, ce mouvement se fera sentir le jeudi 24 février.  Au programme, il y aura du piquetage devant les organismes fermés tôt le matin, une action de visibilité au Conseil du trésor et une manifestation sur la Colline parlementaire qui partira à 13h du Parc Lockwell et qui se terminera devant l’Assemblée Nationale. Cette manifestation conclura la vague de grève, de fermeture et d’interruption qui s’est déroulée partout au Québec depuis le lundi 21 février, indique le RÉPAC.

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