Le cordonnier Louis Gousse de la rue Grant

Après l’incendie de mai 1845 qui détruisit une partie du quartier Saint-Roch, Louis Gousse, maître cordonnier, marié à Marguerite Dubeau, érige à l’angle des rues Richardson et Grant, au 327, rue Monseigneur-Gauvreau, une petite maison de brique où il est interdit de danser dans les mansardes sous peine d'amende.

Le cordonnier Louis Gousse de la rue Grant | 1 janvier 2021 | Article par José Doré

Maison Louis Gousse sise au 327, rue Monseigneur-Gauvreau (14 août 2019)

Crédit photo: José Doré

Après l’incendie de mai 1845 qui détruisit une partie du quartier Saint-Roch, Louis Gousse, maître cordonnier, marié à Marguerite Dubeau, érige à l’angle des rues Richardson et Grant, au 327, rue Monseigneur-Gauvreau, une petite maison de brique où il est interdit de danser dans les mansardes sous peine d’amende.

Si j’avais les ailes d’un ange, je partirais pour Québec

Né à Saint-Pierre-les-Becquets le 23 mai 1806, Louis Gousse est le fils de Louis Gousse, journalier, et de Marie Patry[1]. Neuf ans plus tôt, le 14 août 1797, ces derniers avaient uni leur destinée à l’église Saint-Michel-de-Bellechasse, soit un mois après avoir donné naissance à un enfant illégitime[2]. N’ayant visiblement pas peur de partir vivre ailleurs, les parents de Louis viennent s’installer à Québec, dans le quartier Saint-Roch, vers 1814[3]. Selon le recensement paroissial de Notre-Dame-de-Québec réalisé entre le 20 mai et le 15 juillet 1815, Louis Gousse, père, scieur de long, réside avec son épouse et ses cinq enfants[4] dans une maison louée de la rue Saint-François, propriété d’un nommé Lyonnais[5].

Effeuiller la marguerite

Le 9 janvier 1827, à quelques mois d’atteindre sa majorité, le jeune Louis Gousse, âgé de 20 ans, cordonnier de profession, épouse à l’église Notre-Dame de Québec Elizabeth Maréchal dite Robitaille[6]. En raison de la mort, ce mariage sera de très courte durée. Trois ans plus tard, Louis Gousse reçoit à nouveau la bénédiction nuptiale[7]. Le 24 août 1830, il épouse à l’église Saint-Roch de Québec une femme de plus de 11 ans son aînée, Marguerite Dubeau[8], qui est alors propriétaire du lot où se trouve l’actuel n° 327, rue Monseigneur-Gauvreau[9].

La cabane à Louis

Deux ans après la mort de ses parents, décédés à quatre jours d’intervalle en juillet 1834[10], Louis Gousse acquiert de son frère Joseph, le 6 août 1836, un demi-emplacement situé sur le côté nord de la rue Richardson [De La Salle], à quelques pas seulement de sa maison de la rue Grant [Monseigneur-Gauvreau][11]. En janvier 1841, propriétaire de deux immeubles, le maître cordonnier de la rue Richardson loue sa maison en bois à un étage de la rue Grant, avec ensemble la cour et les autres dépendances, à Thomas Leclerc, charpentier de navires, pour la modique somme de 6 livres 12 shillings[12]. Contrairement à l’usage courant, le bailleur ne s’oblige à aucunes réparations quelconques, « pas même de tenir le preneur clos et couvert dans la maison et lieux[13] ».

Au feu! Au feu!

Le 28 mai 1845, un terrible incendie réduit en cendre plus de 1600 maisons du quartier Saint-Roch, dont celles de Louis Gousse sur les rues Grant et Richardson. Quelques jours après ce désastre, le 7 juin 1845, des propriétaires d’emplacements du quartier Saint-Roch adressent une pétition à la Corporation de la Cité de Québec exposant « [qu’en] reconstruisant le faubourg Saint-Roch, il convient de prendre les moyens les plus sûrs pour diminuer à l’avenir autant qu’il est possible le danger d’une conflagration aussi désastreuse que celle qui vient d’affliger la ville ». La prolongation de la rue Richardson de la rue Grant à la rue Saint-Roch est alors l’une des cinq améliorations proposées[14].

Le 27 juin suivant, lors d’une assemblée spéciale de la Corporation de Québec – après avoir rapporté au maire et aux conseillers que les propriétaires de terrains situés sur la ligne de prolongation de la rue Richardson avaient offert de donner gratuitement le terrain nécessaire pour prolonger cette rue de la rue Grant à celle de Saint-Roch –, il est ordonné et statué « que ladite rue Richardson soit ouverte et prolongée sur sa largeur actuelle de ladite rue Grant à ladite rue Saint-Roch aussitôt que le terrain nécessaire à cette prolongation aura été livré à la Corporation pour cet objet[15] ». Comme vous vous en doutez, cela n’est jamais arrivé.

Le 15, rue Grant [327, rue Monseigneur-Gauvreau], face à la rue Richardson, en 1879
Crédit photo: BAnQ, Québec, P600,S4,SS1,D65

À l’exemple du troisième petit cochon

Ayant besoin d’argent pour se reconstruire, l’aide gouvernementale tardant à venir, Louis Gousse décide de se départir de son demi-emplacement de la rue Richardson. Le 24 juin 1846, il vend celui-ci pour la somme de 50 livres à Cyrille Fréchette, charpentier de navires, et à Louis-Augustin Noël, menuisier[16]. À la fin novembre 1847, certains incendiés de mai 1845 reçoivent enfin un « prêt » du gouvernement pour les aider à reconstruire leur maison en pierre ou en brique et à couvrir celle-ci d’un toit de tôle, de fer-blanc, de zinc ou autres matières incombustibles[17]. Au printemps 1848, une nouvelle maison en brique à un étage, érigée par Louis Gousse, voit le jour sur la rue Grant.

« Attendu que le Sieur Louis Gousse aurait bâti une maison en brique à un étage sur son emplacement situé en ladite paroisse Saint-Roch de Québec, sur le niveau est de la rue Grant, avoisinant du côté nord l’emplacement dudit sieur [Jean-Baptiste] Gagné, dont moitié du terrain pour assoir le mur ou pignon nord de ladite maison dudit Sieur Gousse aurait été fournie par ledit Sieur Gagné et l’autre moitié par ledit Sieur Gousse conformément à la loi et tel que convenu entre eux[18] […] »

Le fait d’avoir conservé son emplacement de la rue Grant au lieu de celui de la rue Richardson s’avéra quelques années plus tard une excellente décision. Dans la nuit du 22 août 1852, un incendie éclata chez ses voisins d’en face, détruisant plusieurs résidences situées entre les rues Richardson et de la Reine, dont une maison de bois construite sur le demi-emplacement vendu six ans plus tôt à Cyrille Fréchette[19].

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Elle au printemps, lui en hiver

Mort subite de Joséphine Gousse en 1899
Crédit photo: Le Journal des Campagnes, Québec, 25 nov. 1899, p. 10

Le 14 mai 1855, à quelques jours de célébrer son 49e anniversaire, Louis Gousse, veuf de Marguerite Dubeau, épouse à l’église Saint-Roch de Québec sa voisine de vingt-six ans sa cadette, Émilie Gagné, fille de Jean-Baptiste Gagné et d’Émilie Hubert[20]. Avec cette jeune épouse, Louis Gousse obtient finalement une descendance[21]. Lorsque celle-ci rend l’âme en mai 1873, à l’âge de 40 ans, elle laisse dans le deuil, outre son mari, plusieurs enfants, dont Louis, Émilie, Joséphine, Belzémire et Georgiana, benjamine de la famille, née deux ans auparavant[22].

Je danse dans ma tête!

Au cours des années suivantes, Louis Gousse louera à maintes reprises les mansardes de sa demeure. Le 14 mai 1892, dans son dernier bail accordé, il informe son locataire, Louis Belleau, fils, employé de chemin de fer, que l’enlèvement de la neige sur la rue Grant, face à la maison, sera à moitié à ses frais et qu’il ne pourra faire de danses dans lesdites prémisses ni y fendre du bois, sous peine d’une amende de dix piastres pour chaque contravention[23]. Il est bien de noter que la somme exigée pour la location annuelle des mansardes, de la cour et d’une partie de la cave était alors de 47 dollars. Comme le dit si bien Céline Dion dans sa chanson, il était préférable pour Louis Belleau de danser dans sa tête.

Petit magasin et logement privé à louer au 136, rue Grant [327, rue Monseigneur-Gauvreau]
Crédit photo: Le Soleil, Québec, 11 janvier 1936, p. 17

Après un cordonnier, un scaphandrier

Le plongeur Joseph Bégin répare la coque de l’Empress of Ireland en 1909
Crédit photo: La Presse, Montréal, 22 octobre 1909, p. 2

Sept ans après le décès de leur père[24], survenu le 11 septembre 1892, à l’âge de 86 ans, les enfants de Louis Gousse décident de vendre la maison familiale pour 700 $ à Prudent Albert Plamondon, entrepreneur menuisier[25]. En 1900, la famille de Joseph Bégin, plongeur, emménage dans la maison bâtie par Louis Gousse pour y demeurer pendant de nombreuses années. Selon un amateur d’anecdotes maritimes, ce scaphandrier aurait été chargé de retirer les sacs de courrier de l’épave de l’Empress of Ireland, sombré au large de Pointe-aux-Pères en 1914[26]. C’est ce qu’on appelle « plonger » dans l’histoire!

[1] Église Saint-Pierre-les-Becquets, 23 mai 1806, folio 12.

[2] Église Saint-Michel de Bellechasse, 14 août 1797, folio 58v.

[3] Église Notre-Dame, Québec, 9 novembre 1814, folio 127.

[4] Joseph, 14 ans, Pierre, 13 ans, Scholastique, 10 ans, Louis, 8 ans, Julie, 7 ans, et Monique, 8 mois.

[5] BAnQ, Archives de la paroisse de Notre-Dame-de-Québec, MS45. Visite commencée le 20 mai et finie le 15 juillet 1815, p. 159.

[6] Église Notre-Dame, Québec, 9 janvier 1827, folio 5v.

[7] Église Saint-Roch, Québec, 24 août 1830, folio 101.

[8] Fille de Jean-Baptiste Dubeau, cultivateur, et de Marie-Josephte Langevin dite Bergevin de la paroisse de Beauport.

[9] De 1824 à 1826, cette propriété aurait appartenu à un nommé Germain Dubeau, lequel avait assurément un lien de parenté avec Marguerite Dubeau. BAnQ, Québec, CN301,S16, Notaire Jean Bélanger, 10 janvier 1824, n° 9068.

[10] Église Saint-Roch, Québec, 17 juillet 1834, folio 80v ; 20 juillet 1834, folio 84v.

[11] BAnQ, Québec, CN301,S128, Notaire Germain Guay, 6 août 1836, n° 1555.

[12] Le 23 janvier 1842, John Ryan, ancien patriote exilé, loue pour une année entière trois pièces d’une maison de bois à un étage de la rue Grant pour 15 shillings par mois, soit 9 livres par année. Et celui-ci s’engage à tenir la maison close et couverte suivant l’usage. BAnQ, Québec, CN301,S204, Notaire Fabien Ouellet, 24 février 1842, n° 2103.

[13] BAnQ, Québec, CN301,S128, Notaire Germain Guay, 18 janvier 1841, n° 3349.

[14] Le Castor, Québec, 9 juin 1845, p. 2.

[15] Le Journal de Québec, 1er juillet 1845, p. 1.

[16] BAnQ, Québec, CN301,S128, Notaire Germain Guay, 30 juin 1846, n° 6176.

[17] BAnQ, Québec, CN301,S116, Notaire Edward Glackmeyer, 26 et 27 novembre 1847, n° 310-325.

[18] Je n’ai pu trouver un document confirmant que Louis Gousse avait eu recours aux prêts, aux débentures, accordés aux incendiés de 1845.

[19] Le Journal de Québec, 24 août 1852, p. 2.

[20] Église Saint-Roch, Québec, 14 mai 1855, folio 93.

[21] Recensement du Canada de 1871, Louis Gousse, Québec Est, Quartier Saint-Roch, p. 73.

[22] Église Saint-Roch, Québec, 5 mai 1873, folio 56.

[23] BAnQ, Québec, CN301,S369, Notaire Jacques-Édouard Plamondon, 14 mai 1892, n° 690.

[24] Église Saint-Roch, Québec, 14 septembre 1892, folio 289.

[25] BAnQ, Québec, CN301,S348, Notaire Charles-Odilon Grenier, 23 octobre 1899, n° 10712.

[26] Le Soleil, Québec, 7 août 1964, p. 4.

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