John Munn s’en va au marché

Inspiré par l'actualité autour du déménagement à Limoilou du Marché du Vieux-Port, José Doré remonte dans l'histoire des marchés jusqu'à l'époque de John Munn, figure du quartier Saint-Roch au coeur de ses recherches.

John Munn s’en va au marché | 15 mars 2019 | Article par José Doré

Détail – Vue de Québec de la Rivière St-Charles (vers 1837-1838). Philip John Bainbrigge. Musée des beaux-arts du Canada, n° 42222. En rouge : Salle des gabarits de John Munn où l’actuel parc John-Munn.

Crédit photo: Philip John Bainbrigge. Musée des beaux-arts du Canada, n° 42222.

Inspiré par l’actualité autour du déménagement à Limoilou du Marché du Vieux-Port, José Doré remonte dans l’histoire des marchés jusqu’à l’époque de John Munn, figure du quartier Saint-Roch au coeur de ses recherches.

L’Écossais de Saint-Roch

Parc John-Munn
Crédit photo: Suzie Genest

En 2014, le parc John-Munn[1], voisin de La Barberie, délimité par les rues de la Reine, Saint-Dominique, du Prince-Édouard et Saint-Roch, devenait un joli espace vert agrémenté d’une œuvre d’art, « Le Roi du fleuve » de Luce Pelletier, d’une table de ping-pong, de bancs publics, de supports à vélos. Une plaque commémorative rappelle la présence à cet endroit du chantier naval de John Munn (1788-1859).

En hiver, ce constructeur d’origine écossaise, qui résidait au coin des rues Grant [Monseigneur-Gauvreau] et de la Reine[2], pouvait employer jusqu’à 200 ouvriers, dont des charpentiers, calfats, gréeurs et menuisiers[3]. Au lieu d’avoir vue sur le lugubre stationnement de béton du Palais de justice, ces travailleurs avaient plutôt comme décor l’embouchure de la rivière Saint-Charles, l’île d’Orléans, le fleuve Saint-Laurent et le marché Saint-Paul.

Le marché Saint-Paul (1833-1883)

Approvisionné par de nombreux voiliers durant la saison de navigation, ce marché public avait été construit à proximité du faubourg Saint-Roch, afin de répondre à une demande de la population.

En 1829, un comité de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, chargé d’étudier le contenu d’une pétition pour l’aménagement au nord de la rue Saint-Paul d’un marché public, rencontra plusieurs citoyens de Québec. À la question « Quelles sont les personnes les plus intéressées à avoir ce marché à proximité de leur résidence? », tous sauf un – qui n’avait pas compris la question – ont répondu « les gens de Saint-Roch », en raison de la distance d’environ deux kilomètres que ces derniers devaient parcourir pour se rendre aux marchés de la Basse-Ville, situés devant l’église Notre-Dame-des-Victoires et à l’emplacement de l’actuelle place de Paris[4].

Deux ans plus tard, les syndics[5] chargés de l’aménagement du nouveau marché, John Munn, Barthelemi Lachance, Augustin Gauthier, William Henderson et Colin McCallum, firent l’acquisition du terrain de « L’Ancien Chantier », là où se trouve aujourd’hui la place Jean-Pelletier, devant la gare du Palais[6].

Détail – This plan of the city of Quebec is respectfully inscribed to the Mayor R.E. Caron (1835).
BAnQ, Rosemont-La Petite-Patrie, G/3454/Q4/1835/H38 CAR. En rouge : Chantier de John Munn. En jaune : Marché Saint-Paul
Crédit photo: Mayor R.E. Caron (1835). BAnQ, Rosemont-La Petite-Patrie, G/3454/Q4/1835/H38 CAR.

Choo! Choo! On s’en va à Limoilou

En 1883, soit 50 ans après son ouverture, la place du marché Saint-Paul disparu du paysage en raison du chemin de fer. Un marché à foin et aux bestiaux, nommé du Palais, fut alors aménagé par la « Cité de Québec » du côté sud de la rue Saint-Paul, tout juste derrière la brasserie Boswell[7].

Les contribuables du quartier du Palais apprirent qu’ils allaient être privés avant longtemps de la halle et de la place du marché, rue Saint-Paul, parce que terrain et bâtisse étaient sur le point de tomber entre les mains de la compagnie du chemin de fer de la rive Nord. Ils firent voir l’importance d’un marché dans le quartier et demandèrent la construction d’une nouvelle halle sur un terrain vacant borné par les rues Saint-Roch, Saint-Joseph et Desfossés [boul. Charest] ou dans le parc à bois[8].

En 1916, le marché à bestiaux de la rue Saint-Paul fut transféré à Limoilou, au coin de la 24e Rue et de la 4e Avenue, où de nouvelles installations avaient été construites par la Compagnie des abattoirs de Québec[9]. Six ans plus tard, la faillite de cette entreprise entraîna la fermeture du marché et chassa, du même coup, son locataire.

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Afin de poursuivre leurs activités sur la rive nord du Saint-Laurent, l’association des bouchers de Québec proposa au maire Joseph Samson que « le marché aux animaux soit établi à Saint-Malo, à proximité de la voie du C. P. R. [Canadian Pacific Railway], sur un terrain qui était la propriété de la ville ». Cette proposition ne reçu pas l’appui du maire, qui souhaitait plutôt remettre en bon état et rétablir le marché existant à Limoilou.

Le conseiller Arthur Drolet du quartier Saint-Sauveur « n’[était] pas entièrement en faveur du projet [du maire], pour un raison, savoir que le marché serait difficile d’accès, parce que les tramways ne s’y rendent pas ». Mais celui-ci tenait à préciser qu’il serait satisfait si le tramway donnait un service régulier les jours de marché. À cette requête, on répondit au conseiller que « des démarches seront […] faites auprès du Quebec Railway pour savoir s’il serait possible de s’assurer d’un service de tramway, ce qui serait assez facile, la ligne étant déjà construite[10] ».

Ironie de l’histoire

Par un drôle de hasard, le marché du Vieux-Port déménagera bientôt à Limoilou dans de nouvelles installations. Et tout comme en 1922, il est aussi question de faciliter l’accès au site par un tramway. Mais, avant l’arrivée de ce mode de transport, les résidents de Saint-Roch devront dorénavant parcourir un kilomètre de plus à pied, à partir de leur église, pour se rendre à ExpoCité. En 1833, c’était l’inverse qui se produisait avec l’établissement du marché Saint-Paul à moins d’un kilomètre du chantier de John Munn.

Autre fait à noter, la fermeture du marché Saint-Paul en 1883 avait fait le bonheur d’une compagnie de chemin de fer. Quelque 136 ans plus tard, le déménagement du marché du Vieux-Port doit réjouir l’Administration portuaire de Québec, qui souhaite construire, sur le terrain laissé vacant, un musée pour enfants et, à proximité, une tour résidentielle, des maisons de ville et des condominiums. Selon les autorités du Port de Québec, ce projet d’aménagement du Bassin Louise permettra d’impliquer la communauté, de créer une vie de quartier, de s’intégrer au secteur et au patrimoine et de mettre en valeur l’histoire par des préaux, des abris, évoquant les chantiers navals par leur forme de coques de bateaux inversés[11].

Détail – Quebec from Beauport (1855). Edwin Whitefield. Bibliothèque et Archives Canada, n° d’acc. 1989-514-36. En rouge : Chantier de John Munn. En jaune : Marché Saint-Paul.
Crédit photo: Edwin Whitefield. Bibliothèque et Archives Canada, n° d'acc. 1989-514-36.

Ça marche Doc !

Si John Munn était à nouveau en vie et reprenait son poste de conseiller municipal[12], il tenterait assurément d’établir un nouveau marché à Saint-Roch afin que lui, ses ouvriers et ses locataires puissent facilement y accéder à pied. Le marché Saint-Paul et le marché du Vieux-Port avaient un point en commun. Tous les deux favorisaient la marche. Serait-ce le cas pour le Grand Marché? Qu’en pensez-vous, Doc ?

Vue aérienne du parc John-Munn et de la gare du Palais. Google 2019
Crédit photo: Google 2019

[1] En 2010, lors de la formation d’un comité pour la mise en valeur du parc John-Munn, celui-ci était un « site d’injection non supervisée » ayant pour seul mobilier urbain un vieux matelas sale squatté par des acariens.

[2] En 1823, après avoir travaillé pendant plus de dix ans à l’Anse des Mères, John Munn décide de transférer ses activités au faubourg Saint-Roch, au chantier naval de son défunt père, où il emménage dans une maison de brique à deux étages située au coin des rues Grant et de la Reine. Les gens de Verdir Saint-Roch seront heureux d’apprendre que cette résidence possédait, en façade, un petit jardin planté d’arbres et, sur le côté, un immense potager. Le Canadien, Québec, 21 mars 1859, p. 3.

[3] The Quebec Mercury, 27 février 1840, p. 2.

[4] Journal de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, 1828-1829, Québec, p. 308-320.

[5] Administrateurs nommés par le gouvernement.

[6] Le Canadien, Québec, 13 août 1831, p. 3.

[7] L’Électeur, Québec, 31 octobre 1883, p. 2.

[8] Ibid., 14 avril 1883, p. 2.

[9] L’Action catholique, Québec, 17 août 1916, p. 4.

[10] Le Soleil, Québec, 26 octobre 1922, p. 9.

[11] https://www.portquebec.ca/projects/a-propos-du-port/developpement/projets-davenir/bassin-louise

[12] Le Canadien, Québec, 10 août 1840, p. 3.

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