Cet hiver, en marchant sur la rue Saint-Joseph Est, j’apprenais qu’on allait bientôt ouvrir une taverne italienne, le Birra & Basta, dans les locaux de la défunte Champagnerie [1]. Sachant qu’il y a déjà sur cette voie de circulation un pub anglais, le London Jack, et une buvette japonaise, le Torii Izakaya, je me suis demandé à la blague : « À quand un pub irlandais où nous pourrions prendre une stout ou un whisky à la mémoire des familles irlandaises qui ont choisi au 19e siècle de s’établir à Saint-Roch? »
Les Irlandais de Saint-Roch
Cet hiver, en marchant sur la rue Saint-Joseph Est, j’apprenais qu’on allait bientôt ouvrir une taverne italienne, le Birra & Basta, dans les locaux de la défunte Champagnerie [1]. Sachant qu’il y a déjà sur cette voie de circulation un pub anglais, le London Jack, et une buvette japonaise, le Torii Izakaya, je me suis demandé à la blague : « À quand un pub irlandais où nous pourrions prendre une stout ou un whisky à la mémoire des familles irlandaises qui ont choisi au 19e siècle de s’établir à Saint-Roch? »
Partis pour Québec
Entre 1829 et 1851, la ville de Québec a accueilli près de 700 000 immigrants, dont plus de la moitié (58,5 %) provenaient de ports irlandais[2]. Parmi ces hommes, femmes et enfants, plusieurs ont traversé l’océan Atlantique à bord de navires construits à Saint-Roch, au chantier naval de John Munn. Le navire John Bolton et la barque Jeanie Johnston[3], lancés respectivement en 1837 et 1847, en sont de bons exemples[4].
Les maisons en rangée de la rue Saint-Dominique
Afin de profiter de cette vague d’immigration, John Munn fit construire en 1833 sur la rue Saint-Dominique, entre les rues du Roi et de la Reine, derrière l’actuelle microbrasserie La Barberie, des maisons de pierre en rangée à deux étages convenables pour 20 familles d’ouvriers. L’année suivante, ces « petites maisons », dont une partie bénéficiait de l’eau courante[5], reçurent leurs premiers locataires[6].
En 1842, celles-ci étaient occupées principalement par des journaliers, charpentiers et forgerons irlandais, travaillant fort probablement pour John Munn[7]. Grâce à ce constructeur d’origine écossaise, la rue Saint-Dominique était alors la deuxième rue du quartier Saint-Roch à compter le plus d’Irlandais, la première étant Saint-Vallier[8]. Sur 230 personnes résidant sur la rue Saint-Dominique, 29 % étaient natives d’Irlande, dont John Perry, Thomas Cary, James Phelan, Patrick Quin, Laurent Jeffers et Thomas Sharlock.
Les maisons en rangée des rues Grant et du Prince-Édouard
Quelques années plus tard, probablement après l’incendie du quartier Saint-Roch de 1845, de nouvelles maisons en rangée pour ouvriers, de brique et à deux étages, furent construites par John Munn au coin des rues Grant [Monseigneur-Gauvreau] et du Prince-Édouard[9]. Tout comme les maisons de la rue Saint-Dominique, celles-ci étaient essentiellement occupées par des Irlandais.
En 1861, on y retrouvait parmi les locataires des Boylan, Cannon, Collopy, Downey, Kelly et Hennessy[10]. Les maisons en rangée de John Munn, communément appelées Munn’s Row[11], permirent assurément d’augmenter le nombre d’Irlandais dans ce secteur de Saint-Roch.
Le bon voisinage
Aujourd’hui, lorsque j’arrive à l’intersection des rues Saint-Dominique et de la Reine, je pense immanquablement à une querelle sanglante survenue entre deux locataires de la Munn’s Row, William Boyle, fabricant de bouilloires, et James Sweeney, cordonnier. En 1865, ces deux Irlandais, qui habitaient dans la même maison, l’un au premier, l’autre au second, en vinrent aux coups… de scie et de fusil. À la suite du combat, Sweeney retourna chez lui pour y attendre patiemment le retour de Boyle afin de décharger sur lui son arme à feu.
Quatre ans plus tard, aucun des deux hommes n’avait changé de logement. Ce n’est qu’en 1870, lors de la transformation de la Munn’s Row en manufacture de chaussures, qu’ils allaient finalement devoir se séparer[12].
Boyle alla vivre sur la rue Fleury et Sweeney, sur la rue Saint-François. Quelques années plus tard, les locataires irlandais des maisons en rangée des rues Grant et du Prince-Édouard, dont William Boyd et Edward Boylan, durent abandonner à leur tour leur logement en raison de la vente du bâtiment.
Chez Sweeney!
Afin de rendre hommage aux Irlandais qui ont choisi Saint-Roch au 19e siècle, il faudrait un jour que le défilé de la Saint-Patrick fasse un détour par les rues Saint-Dominique et du Prince-Édouard. La fête pourrait ensuite se poursuivre « Chez Sweeney ! », éventuel pub irlandais de la rue Saint-Joseph Est.
« Une rixe sanglante a eu lieu, samedi soir, entre deux Irlandais, demeurant à Saint-Roch, à l’extrémité nord de la rue Saint-Dominique, dans cette partie du quartier connu sous le nom de Munn’s Row. L’affaire est arrivée entre 7 et 8 heures de la soirée. James Sweeney et William Boyle, qui demeurent dans la même maison, se détestaient mutuellement. On dit que Boyle intervenait souvent dans les affaires de la famille Sweeney, et il y avait eu plusieurs altercations à ce sujet entre lui et Sweeney. Enfin, pour en arriver à l’affaire en question qui a eu des suites si fâcheuses, samedi, Boyle alla aux courses avec l’un des fils de Sweeney et le ramena ivre.
Quand celui-ci se présenta chez lui dans cet état, sa mère le mit à la porte. Sweeney lui-même, le père, voulut le maltraiter et alors Boyle intervint pour le protéger. Sweeney saisit une hache que Boyle parvint à lui arracher des mains. Se voyant privé de sa hache, Sweeney saisit une scie et en frappa Boyle au visage. Boyle descendit dans la rue le visage tout en sang, et alors Sweeney chargea un fusil, descendit à son tour dans la rue en vociférant contre Boyle qui était entré chez un voisin. La foule s’assembla bientôt, et un homme engagea Sweeney à aller porter son fusil à sa maison. Boyle sortit ensuite et se dirigea vers sa demeure. Sweeney le suivit et entra par la même porte. Sweeney entra le premier et au moment où Boyle montait les escaliers, il tira sur lui. Après cela Sweeney entra chez lui et s’assit près d’une fenêtre regardant tranquillement la foule.
L’excitation était très grande et la foule grossissait de minute en minute. Le docteur H. Blanchet arriva bientôt sur les lieux et donna des soins au blessé. Celui-ci souffre beaucoup, dit-on, mais sa blessure n’est pas dangereuse. Il n’a pas été facile d’arrêter Sweeney qui est un homme très résolu. Il se renferma chez lui et un moment il ouvrit une fenêtre il fit mine de vouloir tirer sur la foule, alors ce fut un sauve qui peut général. Il fallut une forte escouade de police pour arrêter cet homme » [13].
[1] Au 802, rue Saint-Joseph Est.
[2] https://www.pc.gc.ca/fr/lhn-nhs/qc/grosseile/decouvrir-discover/natcul1/c
[3] De 1848 à 1855, le Jeanie Johnston, propriété de la Donovans and Sons de Tralee, effectue plusieurs traversées de l’Atlantique sans qu’un seul passager ne meure à son bord.
[4] Conçus pour le transport du bois, de denrées et de marchandises diverses, ces navires servaient également au transport de passagers, principalement d’immigrants fuyant la pauvreté, la famine et la maladie. Dans les années 1840, ils arrivent bien souvent au port de Québec avec des centaines de passagers pour repartir quelques semaines plus tard, en destination de l’Europe, avec un important chargement de bois.
[5] Le Canadien, Québec, 21 mars 1859, p. 3.
[6] The Quebec Gazette, 26 février 1834, p. 4.
[7] http://data2.collectionscanada.gc.ca/1842/lc/pdf/004569590_00236.pdf
[8] Selon le recensement du Canada-Est de 1842, on retrouvait 66 Irlandais sur la rue Saint-Dominique et 69 sur la rue Saint-Vallier.
[9] Le Canadien, Québec, 21 mars 1859, p. 3.
[10] Recensement du Canada de 1861 et annuaires de Québec.
[11] Munn’s Row signifie en français maisons en rangée de John Munn.
[12] Le Courrier du Canada, Québec, 23 février 1870, p. 3.
[13] Le Journal de Québec, 17 juillet 1865, p. 2.